M. Tchitcherine a exposé, devant les représentants de la presse française, les idées directrices de la politique étrangère des Soviets. Si l’on néglige quelques pointes de tradition diplomatique et quelques ironies de tradition académique, ses déclarations ont été modérées. Le bolchevisme, comme disent les marins, donne du mou. Et l’on a l’impression que tout n’est pas faux dans ce qu’on rapporte des difficultés que les dirigeants de Moscou commencent à rencontrer auprès de l’immense paysannerie russe.
Les déclarations de M. Tchitcherine contiennent aussi quelques parties originales. Le point de vue de Moscou sur les accords de Locarno sort de la banalité. L’ambassadeur Rakovsky avait déjà dit que le pacte formait un groupement de puissances, que ce groupement de puissances créait un déséquilibre et que le déséquilibre conduisait fatalement aux conflits. Doctrine de la pure diplomatie classique. M. Tchitcherine a renchéri. Il voit dans le pacte les germes de guerres futures. Selon lui, M. Chamberlain et M. Briand auraient semé les dents du dragon. « L’avenir démontrera si l’accord de Locarno a vraiment le caractère pacifique que lui attribuent ses participants, a-t-il ajouté, ou si plusieurs de ces derniers n’auront pas à regretter leur œuvre. »
On ne risque rien à prophétiser le mal, sinon le pire. Au fond, M. Tchitcherine a, comme Bismarck, le cauchemar des coalitions. Et c’est lui qui cherche le contact de l’Europe tout en affectant de croire que l’Europe a besoin de la Russie.
Il prétend qu’on a vu clairement, en France et dans les autres pays, qu’un règlement général des affaires internationales était impossible sans l’Union soviétique. Les faits ne sont pas entièrement d’accord avec cette allégation. Il est probable que la paix de Versailles eût été encore plus difficilement réalisable si la Russie avait été présente à la Conférence et si elle avait réclamé ce que les Alliés lui avaient promis pour prix de la victoire et de sa fidélité, c’est-à-dire Constantinople, ni plus ni moins. Depuis sept ans, il y a eu en Europe bien des affaires. Vaille que vaille, jusques et y compris Locarno, elles ont été réglées sans la Russie, et il n’est pas sûr que la présence de la Russie ne les eût pas beaucoup compliquées.
Après avoir voulu rentrer dans la politique internationale par effraction et par la révolution universelle, les Soviets y rentrent sous les aspects courtois de la diplomatie d’ancien régime. Derrière les changements de décor, la Russie que nous retrouvons est toujours la même, atteinte à la fois de gigantisme et de débilité ‑ et, dans son vaste corps, aussi altérée d’emprunts et de crédits.
L’Action française, 17 décembre 1925