Qu’ils soient ce qu’ils sont, ou qu’ils ne soient pas !

Catherine et Robespierre ont fait même œuvre. L’une et l’autre étaient sans tolérance. Aussi n’ai-je point blâmé, ne blâmerai-je jamais l’intolérance de 1793, parce que je n’entends pas que de niais philosophes et des sycophantes blâment l’intolérance religieuse et monarchique. La Réformation a expiré en France sous le coup d’État de Louis XIV, et il le fallait ! Il ne s’agissait pas de savoir si Luther, Calvin, Kvnox, continuateurs des vaudois, des albigeois, des hussites, qui continuaient eux-mêmes les mille hérésies des seconds temps de l’Église, avaient raison ou tort ; il s’agissait du gouvernement temporel des sociétés, attaqué dans sa base, dans son essence, dans ses principes, par l’esprit d’examen auquel rien ne résiste, et avec qui tout pouvoir est impossible. Sois mon égal, ou je te tue, de 1793, est la phrase jumelle de Sois catholique, ou va-t’en, de Philippe II, de la cour de Rome, de Catherine de Médicis, du cardinal de Richelieu et de Louis XIV, car je ne vois pas pourquoi nous ne dirions pas enfin les choses comme elles sont !

Quand on proposa des transactions au grand Ricci, le général des jésuites, il répondit : Sint ut sunt aut non sint, et il opta pour la mort de son ordre. Cette parole, que les encyclopédistes, les révolutionnaires, les poètes, le monde entier tourné vers une impuissante liberté, n’ont pas célébrée, est égale à tout ce que l’antiquité, tout ce que le Moyen Âge ont dit de plus héroïque. Elle fut dite, dans une chambre, à Rome, par un vieillard qui conquérait la Chine à l’Église, qui possédait le Paraguay et le rendait heureux, qui régnait dans le Sud, qui tenait par ses confesseurs l’oreille de tous les rois, et qui avait entre ses mains l’enseignement d’une partie du globe. Ricci, disant cette phrase, a entendu craquer les trônes ; mais il comprenait que son ordre n’était rien s’il n’était pas ce qu’il avait été jusque-là : le gouvernement par les capacités triées dans les générations. Cette sublime abdication de la plus belle oligarchie religieuse qui se soit produite depuis l’Égypte, cette phrase est la loi de l’Église catholique, celle de toute monarchie, celle de la république. Voilà ce que comprenait le parti vainqueur de Port-Royal et de la Réformation en France.

Dieu, le roi, le père de famille, telle était la société de Bossuet, de Louis XIV, de Charlemagne, de saint Louis, de Napoléon.

La liberté, l’élection, l’individu, telle est celle de la Réformation.

Par malheur, la France est en proie aujourd’hui à cette horrible formule. N’est-ce donc pas, ô France ! par l’unité monarchique et religieuse que Louis XIV et Napoléon firent l’un et l’autre leurs grandes tentatives de domination française ? L’un et l’autre ont eu le même sort, ils furent abandonnés, incompris, au moment où ils demandaient à la nation un dernier effort. L’un et l’autre avaient attaché les deux péninsules aux flancs de la France en étendant la main sur la Méditerranée. La trahison politique du Régent a brisé l’œuvre de Louis XIV, comme, en 1814, la trahison de ses lieutenants a fait périr celle de Napoléon. Aujourd’hui, la puissance de la Russie gît surtout dans la force du principe religieux et du principe monarchique réunis. Le czar, homme en ce moment à la hauteur de son empire, digne de la grande Catherine et de Pierre le Grand, est à la fois pape et empereur.

Les doctrines de Port-Royal étaient, sous le masque de la dévotion la plus outrée, sous le couvert de l’ascétisme, de la piété, une opposition tenace aux principes de l’Église et de la monarchie. MM. de Port-Royal, malgré leur manteau religieux, furent les précurseurs des économistes, des encyclopédistes du temps de Louis XV, des doctrinaires d’aujourd’hui, qui tous voulaient des comptes, des garanties, des explications, qui abritaient des révolutions sous les mots tolérance et laisser faire. La tolérance est, comme la liberté, une sublime niaiserie politique. Elle enfante si bien les rébellions, les schismes, le trouble dans l’État, que l’intolérance de Calvin, qui fit brûler Servet, égale celle de l’Église. Qu’y a-t-il au monde, en ce moment, de plus compact, de plus despotique que l’intolérance des hypocrites momeries de Genève et de l’hypocrite Angleterre ? Port-Roval était une sédition commencée dans le cercle des idées religieuses, le plus terrible point d’appui des habiles oppositions. La bourgeoisie d’aujourd’hui, avec son ignoble et lâche forme de gouvernement, sans résolution, sans courage, avare, mesquine, illettrée, préférant, pour sa Chambre, des nuages au plafond d’Ingres, et représentée par les gens que vous savez, était tapie derrière MM. de Port-Royal. Cette arrière-garde et cette arrière-pensée expliquent pourquoi des hommes comme Molière, Boileau, Racine, Pascal, les Bignon, etc., se rattachaient secrètement ou ostensiblement à Port-Royal. La preuve de ce que j’avance existe dans un fait terrible dont M. Sainte-Beuve ne parle pas dans son discours d’ouverture devenu la préface de son livre : tous les évêques, tous les ecclésiastiques, les curés qui ont renié l’Église catholique, qui ont prêté serment, qui ont souillé les sièges épiscopaux, étaient des jansénistes. L’Église et le monarque n’ont point failli à leur devoir, ils ont étouffé Port-Royal. Louis XIV est là, comme en tout, bien supérieur à Charles-Quint. Aujourd’hui, ceci ne saurait faire question. Aussi M. Sainte-Beuve dit-il : « Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, était une sorte de Sieyès spirituel qui agissait avec vigueur en se tenant dans l’ombre ! » En 1906, ce Saint-Cyran disait : « Dieu m’a donné de grandes lumières, il n’y a plus d’Église, et cela depuis six cents ans (c’est-à-dire depuis l’an mille) ! » Quel hypocrite, quel Cromwell religieux ! De bonne foi, peut-on en vouloir à Richelieu et aux jésuites de l’avoir deviné ? En mourant, il dit avoir refusé un évêché sous un gouvernement qui ne voulait que des esclaves ! Ce dernier mot est-il assez clair ? Toute opposition religieuse est la préface d’une hérésie dans l’Église, comme, dans l’État, toute opposition est la préface d’une sédition : elle finit, dans l’État, par les piques de 1790 ou par les pavés de 1830, et, dans l’Église, par deux cents ans de guerres. Par malheur, le parti janséniste, continuateur de Port-Royal, et Port-Royal trouvèrent des gens d’un talent immense ; puis ils eurent pour héritiers les terribles jouteurs du XVIIIᵉ siècle ; mais, quand les jésuites, objet de tant de haine, tombèrent, les trônes se sentirent ébranlés. Voltaire a continué Pascal, comme Louis XIV avait continué Catherine et Richelieu. Chaque parti était dans son droit.