La date de 987 est une des plus importantes de notre histoire, puisque c’est celle de la fondation de la monarchie capétienne et puisque quarante rois succédèrent à Hugues Capet. Cette date passerait néanmoins presque inaperçue, elle n’aurait qu’une valeur secondaire ou même épisodique sans le concours de circonstances qui devait permettre à la dynastie nouvelle de s’affermir et de durer.
Hugues, duc de France, avait été élu. L’origine de sa royauté était élective. L’assemblée de Senlis qui l’avait proclamé roi, malgré une assez forte opposition, s’était gardée de créer d’emblée la monarchie héréditaire. Les grands féodaux n’avaient aucune envie de se trouver un maître. Hugues Capet ne les inquiétait pas et il y avait nombre de souverains locaux plus puissants que lui.
Les descendants de Robert le Fort avaient mis un siècle à s’approcher du trône. Ils s’étaient conduits avec prudence, avec adresse, avec un sens remarquable de l’opportunité. Hugues lui-même, profitant de la décadence des Carolingiens et de la mauvaise situation de leur dernier représentant Charles de Lorraine qui était vassal du roi de Germanie, se comporta à l’assemblée de Senlis en politique habile, nous dirons même en parlementaire consommé. C’est tout juste s’il n’était pas un candidat républicain. Son allié Adalbéron fit valoir qu’il serait le meilleur défenseur « de la chose publique et des choses privées ».
Son élection ne fut pas reconnue par les grands feudataires dont quelques-uns le méprisaient à cause de sa faiblesse. Le comte de Périgord ne craignit pas de lui prendre sa ville de Tours. Il est resté célèbre que Hugues lui ayant demandé : « Qui t’a fait comte ? » l’autre répondit avec insolence : « Qui t’a fait roi ? »
En s’effaçant, en se faisant modestes, en donnant à leur souveraineté un caractère plus sacerdotal que royal, les premiers Capétiens se firent d’abord endurer. Le plus difficile était d’effacer ce qu’ils devaient à l’élection. Régulièrement, le pouvoir de l’élu de Senlis aurait dû être viager, s’éteindre avec lui et une nouvelle assemblée élire son successeur.
Il n’était pas exclu que ce successeur fût un propre fils mais ce n’était pas certain. Par précaution, Hugues associa son fils Robert au trône. Il le fit élire de son vivant. Cette pratique fut continuée. L’élection ne fut plus qu’une formalité et, peu à peu, on s’habitua à voir les nouveaux rois se succéder par ordre de primogéniture. La monarchie héréditaire s’installa en quelque sorte par subterfuge, par tradition, sans déclaration de principe et sans bruit.
Mais cela même, quelle que fût la dextérité, quel que fut le sens politique de ces princes n’aurait pu réussir sans une circonstance capitale. La dynastie capétienne eut ses débuts, lorsqu’elle était encore discutée et faible, ce bonheur rare qu’il ne survint pas chez elle de morts imprévues ou prématurées. Chacun de ses représentants eut le bon esprit de mourir dans un âge suffisant pour que son héritier fût un héritier direct, non pas un latéral, et un homme fait, non pas un enfant. Chacun mourut même assez tôt pour éviter les dangers d’un règne trop prolongé et stérile. S’il en eût été autrement, la succession héréditaire eût été remise en question.
Il y avait déjà deux cent quarante ans que les Capétiens étaient sur le trône lorsque Louis VIII mourut, encore jeune, et laissant un fils qui avait seulement onze ans. On courait pour la première fois les risques d’une minorité et d’une régence. Elles furent terriblement orageuses. Blanche de Castille surmonta les difficultés et les calomnies qui l’atteignaient jusque dans son honneur de femme. Elle prépara le règne éclatant qui fut celui de saint Louis. Mais plus de deux siècles de possession avaient solidement assis la maison capétienne. Et le grand-père du petit prince mineur, Philippe-Auguste, a sauvé la France de l’invasion à la bataille de Bouvines. La dynastie est devenue tout à fait nationale Les Français commencent à ne faire qu’un avec elle.
Pendant une centaine d’années encore, ce qui fait en tout trois cent quarante ans, les premiers Capétiens régnèrent de père en fils. Leur première branche ne s’éteignit qu’avec les trois fils de Philippe le Bel, Louis X dit Hutin, Philippe le Long et Charles le Bel qui ne laissaient que des filles. Il est curieux de remarquer que les Valois ont fini par trois frères, également rois, François II, Charles IX et Henri III, de même que les Bourbons avec Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.
Qui succéderait à Charles le Bel ? La « loi salique » interdisait aux femmes de régner en France. Plus exactement, cette prétendue loi était l’expression de la répugnance qu’ont toujours eu les Français à remettre la politique aux mains des femmes. La couronne devant être transmise de mâle en mâle, c’était donc au plus proche parent de Charles le Bel, Philippe de Valois, que revenait la royauté.
On eut alors la preuve que, si un cas pareil s’était présenté deux ou trois cents ans plus tôt, la dynastie capétienne eût couru grand risque d’être écrasée dans l’œuf. En effet un compétiteur surgit. Et quel compétiteur ! Édouard III, roi d’Angleterre, petit-fils de Philippe le Bel par sa mère Isabeau.
Il fallut une assemblée, semblable à celle qui avait élu jadis Hugues Capet, pour établir les droits de Philippe VI. Les Anglais et les mauvais Français ne l’en traitèrent pas moins d’usurpateur. De cette contestation devait naître la Guerre de Cent Ans.
Les Moments décisifs de l’Histoire de France, 1938