M. Austen Chamberlain a prononcé un discours qui était destiné à contenter tout le monde. À l’Angleterre il a dit que le pacte ne l’engagerait pas malgré elle dans les conflits européens et n’était qu’un dérivé du pacte de la Société des Nations. A la France, il a dit que ce pacte lui apportait tout de même quelque chose de plus que l’autre, à savoir l’intérêt que porte l’Angleterre à la sécurité du Rhin. L’Allemagne, enfin, est assurée que ce pacte n’est pas dirigé contre elle, qu’il n’implique aucune méfiance à son égard et qu’elle peut le signer sans crainte ni déshonneur, comme une égale qui traite avec des égaux.
À peine secrète, la pensée de M. Chamberlain est que les risques d’un conflit sont, à l’Occident, extrêmement faibles, à peine dignes de compter. Le pacte serait théorique, idéal. Il n’est pas question d’accord militaire franco-anglais. Cet accord est, du reste, exclu par la nature du pacte « bilatéral » qui voudrait, en ce cas, une convention parallèle avec l’Allemagne, une convention qui supposerait la possibilité d’une aide militaire apportée au Reich par l’Angleterre contre la France reconnue coupable d’agression.
Peut‑on contenter tout le monde et son père ? M. Chamberlain l’a essayé. Nous verrons s’il réussira. Et nous savons bien qu’un ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne voit au-delà de l’Europe, qu’il surveille en ce moment, non sans anxiété, les événements d’Asie et d’Afrique, qu’il a des soucis différents des nôtres. L’idée de réconcilier l’Allemagne, de l’introduire dans une alliance conservatrice, l’alliance de l’Europe contre la barbarie, le tente et doit le tenter.
Il apparaît, en ce moment, des signes graves pour un Anglais. Le nombre des chômeurs s’accroît. La balance commerciale du Royaume-Uni est en déficit. Que cette situation se prolonge, et l’Angleterre devra vivre sur sa substance, entamer son capital. Qu’elle s’aggrave, et quel trouble, quel désordre ne se produiront pas !
Quand on voit ce qui se passe en Chine, on ne peut, sans trembler, prévoir ce qu’il adviendrait de notre civilisation industrielle de l’Occident si les vastes marchés asiatiques allaient se fermer. Un pays comme l’Angleterre vit dans une certaine organisation du monde. Si cette organisation disparaissait, l’Angleterre ne serait plus qu’une île surpeuplée et affamée. Un Carlyle, qui avait assisté au développement effréné de l’industrie, avait eu des visions d’avenir de ce genre. En ce moment, un ministre, à Downing Street, peut avoir aussi de sombres rêves.
Mais l’Allemagne elle‑même a une industrie pléthorique. Elle ne mange qu’à la condition d’exporter par quantités immenses ses produits fabriqués. C’est ce qui peut la rapprocher de l’Angleterre, dans un sentiment commun de prééminence européenne. C’est ce qui peut aussi sûrement la mettre en concurrence avec elle dans une âpre lutte pour le pain. Malheur aux pays qui ne se nourrissent pas eux-mêmes ! Nous nous prosternerons bientôt aux pieds de nos derniers paysans.
L’Action française, 26 juin 1925