Hier, M. Mac Donald avait invité M. Herriot à la revue navale de Spithead. Nous nous abstiendrons de réflexions usées sur la présence de ce travailliste et de ce démocrate à une manifestation militaire. Ce n’est pas cette présence qui provoque l’ironie et le dégoût. Ce n’est pas le retour éternel de ces conversions aux nécessités vitales des États. C’est la certitude que ces conversions seront bafouées, que le « culte de la force » sera dénoncé par d’autres démagogues qui découvriront plus tard, à leur tour, les « réalités du monde sensible ».
Nous ne savons pas assez ce que représente pour les Anglais « la flotte à Spithead ». Les articles de leurs journaux donnent une idée du caractère historique et même sacré de journées comme celle‑là. Une fête de l’armée prussienne à Postdam a moins d’importance et plus d’incroyants. Hier, rappelant les fastes de la vieille British Navy, le Times écrivait : « Le fils du roi Édouard est roi et M. Ramsay Mac Donald premier ministre. Mais l’esprit de la marine royale et sa raison d’être restent les mêmes parce que, de sa force et de sa stabilité, dépend toute l’existence de l’Empire. »
Si l’on veut voir les choses comme elles doivent être vues, la démonstration de puissance qui a été donnée hier a un double signe. Aucun pays d’Europe n’est capable d’aligner un nombre de navires de guerre comparable, même de très loin, à celui qui a défilé à Spithead. La marine française, qui se meurt, arrive tout juste au cinquième de celle de la Grande-Bretagne. On peut donc dire que l’Angleterre possède un instrument de domination navale dont la supériorité n’a jamais été élevée si haut. Mais, et c’est le second aspect, cette grande force maritime est aussi une des dernières forces de la civilisation. Si les routes maritimes sont encore sûres, plus sûres que bien des routes terrestres et des voies ferrées, si l’on ne rencontre pas sur les mers de pirates barbaresques, chinois ou bolcheviks, c’est à la Royal Navy qu’on le doit : Sans elle, des paquebots français, sur la route de l’Indochine ou de Madagascar, seraient vite exposés à des surprises. On dit, en Angleterre, que le navire de commerce est une dame qui a besoin d’être accompagnée. La flotte anglaise protège de loin toute navigation. Sans elle, la police des océans n’existerait plus.
Peut‑on lui demander davantage ? L’autre jour, en repoussant le pacte d’assistance mutuelle, M. Mac Donald a dit non. Ce non vient d’être répété à la Chambre des lords. Nous sommes avertis de ne pas avoir à compter sur la marine anglaise pour défendre, en cas de besoin, nos possessions d’outre‑mer, à moins que l’Angleterre n’y consente dans son propre intérêt. En somme, à Spithead, M. Mac Donald a montré à M. Herriot le bon tabac qu’il avait dans sa tabatière.
On sait que sa principale raison pour rejeter le système de garantie universelle proposé par la Ligue de Genève ; c’est que l’Angleterre devrait augmenter ses escadres. En effet, dans toute association, chacun donne ce qu’il a, ou, plus exactement, on demande à chacun de donner ce qu’il a. Aux Anglais, ce sont des navires de guerre. À d’autres, ce seraient des régiments.
Un journal du matin annonçait, hier, que la commission d’études du Conseil supérieur de la défense nationale, présidée par M. Paul‑Boncour, s’était ralliée, à l’unanimité, au pacte de garantie. Le refus de l’Angleterre rend cette adhésion fort platonique.
On comprend très bien que des militaires comme ceux qui siègent au Conseil supérieur approuvent la participation de la France au pacte d’assurance mutuelle. Il n’y a pas de meilleur moyen de développer l’armée française et de justifier un « militarisme » français. Moyen beaucoup trop bon, à notre goût. Il est certain, en effet (l’exemple de la Pologne en 1920 est là pour le prouver), que c’est à la France qu’on demandera de tous côtés aide et secours, non seulement parce que la France a le scrupule de tenir ses engagements, mais parce qu’elle est, à l’heure présente, à peu près seule à posséder une armée parmi les pays qui pourraient signer le pacte. Et, pour les militaires français, il y aurait des occupations nombreuses, une campagne à peu près tous les six mois. Rien n’est donc plus naturel que le goût des soldats de métier pour l’ « assistance mutuelle » qui serait l’assistance, par une expédition française, des Polonais un jour, des Tchèques ou Yougoslaves un autre jour. Mais c’est ce rôle‑là, fort coûteux, dont M. Mac Donald n’a pas voulu pour la flotte anglaise (qu’il aurait fallu accroître) et dont nous ne voulons pas davantage pour les régiments français.
L’Action française, 27 juillet 1924