Il y a une mission particulière à cette époque, tant en France qu’en Allemagne, et dont Michelet semble particulièrement le délégué : elle consiste à penser l’histoire comme un absolu, à sentir et à exprimer une mystique de l’histoire. C’est en cela que Vico, mieux que Hegel, lui servit de révélateur. Michelet s’était d’abord connu la vocation philosophique, et toujours il se connut et on le reconnut comme un artiste. Un art de ressusciter le passé, une philosophie de l’humanité en tant qu’elle dure, une mystique des peuples qui se créent et qui créent, c’est avec ces forces, ces divinités à lui, que la personne de Michelet a coïncidé et vibré. Quand on parle d’une page de Michelet, on lui donne généralement l’épithète d’émouvante. Nous l’accorderons sans discuter à celles qu’il a écrites sur les archives dont il était fonctionnaire, et qui auraient selon lui nourri son Histoire de France. Mais il est fâcheux que cette histoire commence ainsi par une illusion de Michelet sur lui-même et sur l’objet de l’histoire, cette mystique par une mystification. Le bon sens nous indique en effet que toute histoire de France générale suppose des monographies de détail, et qu’elle ne s’écrit que de seconde main. Une histoire de France écrite convenablement d’après les sources demanderait une centaine de vies d’hommes. Ce mystique vit comme tous les mystiques dans le monde des intuitions. En matière d’histoire le terme d’intuition semblerait avoir été créé et mis au monde pour lui. L’Histoire de France et l’Histoire de la Révolution française n’ont presque rien d’un récit tenu, contenu, continent, maître de lui et qui travaille à éclairer le lecteur. Ils supposent connue l’histoire qu’ils racontent. Alors se succèdent en paragraphes brefs, en sensations fortes, en indignations, en enthousiasmes, en images, en lignes de feu, en gerbes d’étoiles, les visions et les réflexions de Michelet. Quoiqu’il en ait dit, son histoire n’est pas une résurrection : c’est un paysage sous une fulguration d’éclairs. Ce climat ne convient pas à tous les nerfs.
Guizot n’a évidemment pas le génie de Michelet. Mais qui ne connaît rien de l’histoire des Révolutions française et anglaise sortira de la lecture de Guizot avec des idées nettes et des données précises sur la première, de la lecture de Michelet avec un intérêt passionné pour la seconde, des clartés confuses, et le désir d’en chercher l’histoire ailleurs.