Georges Clemenceau avait dit, quelques mois avant sa mort :
— Si un jour je reste grand devant l’histoire, c’est parce que, depuis huit ans, je me suis tu.
Seul, le silence est grand. C’est très vrai que la figure de Clemenceau était devenue encore plus haute dans cette espèce d’orgueilleuse retraite où il s’enfermait.
Artiste de sa propre vie, il lui avait donné, à défaut du bûcher de Rouen ou du rocher de Sainte-Hélène, la fin des existences glorieuses qui ne sont pas complètes sans la couronne d’épines de l’injustice, de l’ingratitude et des reniements.
C’est pourquoi on n’avait pu lui rendre, devant la postérité, de plus grand service qu’en lui refusant la Présidence de la République. L’échec lui avait été cruel. Mais, d’ailleurs, il l’avait préparé par son caractère indomptable, son refus de solliciter et de flatter, son mépris des humains. A la réflexion, il avait compris que, pour laisser intacte son auréole historique, rien ne pouvait lui arriver de plus heureux.
Représentez-vous Clemenceau à l’Élysée, le Tigre en cage, achevant ses jours à visiter des expositions, à voir courir le Grand Prix, à résoudre des crises ministérielles. Ou bien il aurait accepté le rôle de soliveau, ou bien il serait parti en claquant les portes. A moins que le Cartel l’eût expulsé, comme M. Millerand en 1924. Dans tous les cas, il eût été amoindri.
Il aura eu l’avantage de ne pas finir comme un politicien, d’avoir, par la solitude, mis sa gloire à l’abri des contacts impurs. Le « père la Victoire » avait fait oublier le vieux destructeur, l’ami de Cornélius Herz, l’homme du Bloc, tout un passé dont on ne voulait même plus se souvenir. Quel bienfait pour sa mémoire qu’une rechute dans le marécage parlementaire n’ait pas fait oublier le sauveur du pays !