Un mot de M. Winston Churchill

La presse libérale anglaise reproche vivement à M. Winston Churchill d’avoir déclaré à Rome que le régime mussolinien avait rendu service au monde entier. Cela n’est pas anglais, écrit le Manchester Guardian qui se sert du vocable intraduisible de « non-englishness ». Et cette apologie n’aurait pas dû, selon les doctrinaires libéraux, être prononcée par un ministre britannique, parce que le fascisme, comme le bolchevisme, repose sur le terrorisme, l’assassinat et la violence meurtrière, choses auxquelles l’Angleterre répugne par son esprit, ses mœurs et ses traditions.

Il serait facile de répondre par des exemples tirés de la propre histoire du royaume. Sans remonter trop haut, car le Manchester Guardian pourrait répliquer à son tour que la vieille rudesse a disparu, il y aurait beaucoup à dire sur la révolution d’Angleterre, sur la manière dont furent traités les irlandais et les catholiques. Le régime moderne lui-même a dû s’établir par la force, et les jacobites ne furent pas précisément baignés dans l’eau de rose. L’histoire d’Angleterre, de Marie Stuart à l’amiral Byng, a passé pour une des plus sanglantes du monde. Et c’est Cromwell qui, devant le corps décapité de Charles Iᵉʳ, prononçait ce mot que n’eussent désavoué ni Lénine, ni Mussolini, ni Bonaparte après l’exécution du duc d’Enghien : « Cruelle nécessité ! »

Du reste, ces réflexions sur la violence sont à côté du sujet. Et M. Churchill ne pensait ni à Thomas Becket, ni aux enfants d’Édouard en disant que le fascisme a rendu service au monde. Cette petite phrase, qui n’était pas uniquement de politesse pour un pays dont il était l’hôte, a un sens qui s’étend au-delà de l’Italie.

L’Angleterre a voulu la « restauration économique » de l’Europe et la veut encore. Ce relèvement ne pouvait se faire que par l’élimination du socialisme, et c’est ainsi qu’il s’est fait, à Berlin comme à Rome, à Vienne comme à Paris. Si nous n’avons jamais eu de ministère Léon Blum, c’est au gouverneur de la Banque d’Angleterre que nous le devons. Le compliment du chancelier de l’Échiquier à M. Mussolini, qui a délivré l’Italie des rongeurs socialistes, veut dire cela et le dit très bien.

Pour la même raison et dans le même esprit, on n’est, à Londres, certainement pas très hostile au ministère de droite qui se forme sur la pressante demande du maréchal Hindenburg. Le gouvernement des partis bourgeois avec le concours des nationalistes est commandé par l’exclusion de la social-démocratie. « Cruelle nécessité », répètent les administrateurs et les « trustees » du plan Dawes. Si les social-démocrates revenaient au pouvoir, le plan serait vite ruiné. Dans le récent rapport du commissaire des chemins de fer allemands, rapport adressé à la commission des réparations, on trouve une allusion très nette à cet égard. M. Gaston Leverve indique que l’effectif des cheminots allemands, « démesurément grossi après la guerre pour des raisons d’ordre politique » a été, de 1923 à 1926, diminué de 350 000 et ramené au chiffre de 1913.

Ces « raisons politiques », c’étaient celles de la démagogie socialiste qui a régné de 1918 à 1923 et produit l’inflation. Les finances allemandes ont pu être guéries du jour où les social-démocrates n’ont plus gouverné, c’est-à-dire depuis 1923. Et si M. Winston Churchill était allé à Berlin au lieu d’aller à Rome, il aurait pu dire au chancelier Luther, au comte Westarp et à Hindenburg : « Vous avez rendu service au monde », ce qui, croyons-nous, traduirait correctement sa pensée.

Couleurs du temps, 1927.