Un prince en dalmatique, le Roi prêtre

Le titre en a été donné au roi de France par Joseph Bédier, et l’éminent historien constate qu’il est resté le roi prêtre durant tout le Moyen Âge. Dans la sublime Chanson de Roland, avant d’engager le combat, Charlemagne bénit ses sujets, les absout de leurs péchés.

Au sacre de Reims le roi est vêtu de draps d’église. Jusqu’à la Révolution, la dalmatique, avec la couronne, le sceptre et la main d’ivoire fera partie des insignes royaux. « Et certes, écrit André Duchesne en ses Antiquités, les rois de France n’ont jamais été tenus purs laïcs, mais orrez du sacerdoce et de la royauté tout ensemble. Pour montrer qu’ils participent de la prêtrise, ils sont précisément oints comme les prêtres et ils ont encore la dalmatique sous le manteau royal afin de témoigner du rang qu’ils tiennent dans l’Église. »

Le roi est en France le chef de l’Église. Hugue Capet se donne comme tel quand, le 3 juillet 987, à Noyon, il est proclamé roi. Durant son règne, il ne cessera d’agir en chef de son clergé.

Robert le Pieux est un homme d’Église chantant au lutrin, présidant des conciles, discutant personnellement contre les hérétiques, entouré de prélats et d’abbés.

Son arrière-petit-fils, Louis le Gros, l’un des plus grands princes et des plus vaillants soldats dont l’histoire ait gardé le souvenir, chevauche lance au poing, entouré de clercs et de moines. Il mourra le 1ᵉʳ août 1137, âgé de cinquante-six ans, vêtu d’habits religieux.

De Louis VII l’historien ne distingue qu’une silhouette indécise dans la majesté religieuse dont il est enveloppé.

Son fils Philippe Auguste fait figure de pontife au début de la bataille de Bouvines ou il se montrera grand capitaine en collaboration d’un moine, Frère Gérin. Le discours qu’il adresse à ses hommes d’armes est un sermon. Il les bénit comme Charlemagne en la Chanson de Roland ; aussi bien semble-t-il que les poètes épiques l’aient pris pour modèle en peignant leur roi prêtre des Chansons de geste.

Saint Louis déclare la fonction royale « un sacerdoce ».

Le chroniqueur Guillaume de Nangis parle de Philippe le Hardi comme d’un moine.

Son fils Philippe le Bel, pour adversaire déterminé qu’il se soit montré du Saint-Siège, ne s’en présente pas moins en un homme d’Église, et de la plus pure qualité. Le clergé de France lui décernera le titre de « Philippe le Catholique ».

Au XVᵉ siècle, on continue de considérer le roi comme la première personne ecclésiastique du royaume. « Le roi est un prélat », dit Juvénal des Ursins en s’adressant à Charles VII. Au XVIᵉ siècle, La Roche-Flavin : « Le roi est l’évêque commun de France », ce que Le Maistre, avocat au Parlement, précisera en l’accentuant : « Le prince a sur son Église non seulement une autorité semblable à celle du pontife romain, mais un pouvoir prépondérant. »

Louis XIII avait entrepris des constructions importantes pour renforcer militairement la place de Verdun. Il s’agissait de tenir plus fermement en respect le duc de Lorraine. Celui-ci pria l’évêque de Verdun d’arrêter les travaux en menaçant d’excommunier ceux des ouvriers qui continueraient de s’y consacrer. L’évêque obtempéra. En vertu de son autorité ecclésiastique, Louis XIII annula les sentences d’interdit prononcées par le prélat et chacun de s’incliner.

Ainsi Fénelon, le pieux archevêque de Cambrai, pourra-t-il conclure sous le règne de Louis XIV : « Dans la pratique, le roi est beaucoup plus chef de l’Église que le pape. »

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Le roi a délégué ses fonctions et pouvoirs au Parlement, dont les membres, Premier, Président en tête, sont ses représentants immédiats. Ils conservent son caractère religieux. « Anciennement, écrit Louis d’Orléans en ses Ouvertures du Parlement (1607) on voyait le matin ces Messieurs aller au palais sur leurs mulets, priant et disant leurs heures et chapelets. » En certaines circonstances, le président revêtait le blanc surplis du prêtre à l’autel.

En représentants du roi les membres du Parlement se considèrent comme autorisés à intervenir dans la pratique du culte. On les voit ordonner la levée de censures ecclésiastiques, annuler des peines prononcées par des abbés ou évêques contre leurs subordonnés, juger de la validité des pardons, de l’opportunité des indulgences, régler le détail des processions, décider de l’authenticité des reliques. Les bulles pontificales n’ont d’activité en France – comme les édits royaux – qu’après enregistrement par le Parlement, qui fait déchirer par les mains du bourreau comme écrits factieux celles qui n’ont pas son approbation. Il enregistre des articles de foi qui en deviennent dans le royaume des lois civiles.

Durant les conflits suscités par le Jansénisme, nos magistrats se constituent en assemblée de théologiens, discutent de la grâce efficace, de la prédestination, passent au crible l’orthodoxie de saint Augustin, cherchent dans Jansénius les fameuses « cinq propositions » que les uns déclarent y briller avec l’éclat du soleil et les autres disent impossibles à y découvrir. Le Parlement approuve ou blâme les évêques, leur adresse des félicitations ou des réprimandes ; il suit les ébats des convulsionnaires, apprécie les miracles opérés sur la tombe du diacre Pâris. Un curé, sous prétexte de jansénisme, refuse-t-il l’extrême-onction à l’un de ses paroissiens, nos magistrats interviennent pour mettre un frein à ce qu’ils considèrent comme un abus.

Cette ingérence du Parlement dans la vie du catholicisme en France a souvent été critiquée par les défenseurs du Concordat conclu entre François Iᵉʳ et Léon X. Il était inadmissible, disent-ils, que les magistrats civils intervinssent dans le domaine religieux jusqu’à prétendre fixer le détail des vêtements et ornements ecclésiastiques : « Ce devait être insupportable. » Parfois, sans doute, assez contrariant ; mais avec cette importante contrepartie que l’Église de France trouvait dans le Parlement un puissant et vigilant défenseur, non seulement contre l’hérésie, mais contre toute hostilité, compensation de nature à indemniser de quelque contrainte.