Un remarquable fanatique

Le comité bolcheviste qui, au mois d’octobre 1917, avait renversé Kerenski, était composé de cinq révolutionnaires : Lénine, Trotsky, Kamenef, Dzerjinsky et Staline. Le premier est mort. Les deux suivants, coupables d’hérésie, n’occupent plus qu’un rang secondaire. Dzerjinsky vient de mourir à son tour. Seul Staline (alias le Géorgien Djugaschvilli) continue à représenter l’école primitive du bolchevisme.

Figure singulière que celle de Félix Edmundovitch Dzerjinsky, de sanglante mémoire. Un journal anglais, qui publie sur lui d’intéressants détails, l’appelle un remarquable fanatique. Ce n’était pas en effet un révolutionnaire banal que ce fils d’un petit noble lithuanien, révolutionnaire depuis l’enfance, révolutionnaire-né, et qui, dans son horrible besogne d’exécuteur des hautes œuvres de la Révolution, inaccessible à tout sentiment d’humanité, était resté gentilhomme au point qu’un Américain, l’ayant approché à Moscou au moment où le chef de la Tchéka ordonnait des exécutions tous les jours, a pu dire que c’était « l’homme le plus charmant qu’il eût rencontré de sa vie ».

Charmant comme Saint-Just et gentilhomme comme M. de Robespierre. C’est lui qui disait un jour, comme on lui reprochait d’avoir du sang sur les mains : « On ne fait pas une révolution avec des gants de chevreau blanc. » La révolution russe, comme la nôtre, a dû son énergie et sa durée à ces sortes de monstres. La brute populaire se lasse plus vite des exécutions sommaires et des massacres que l’intellectuel et l’aristocrate sans qui une révolution s’épuiserait au bout de six mois.

L’autre trait par lequel Dzerjinsky se rapproche de nos terroristes, c’est sa volonté farouche d’épuration. C’était un redoutable autant que remarquable fanatique de la vertu. En 1923, il avait fait fusiller, sans autre forme de procès, onze architectes communistes coupables de malversations dans les travaux de l’Exposition de Moscou. Commissaire aux transports, ayant constaté que des abus étaient commis dans l’administration du Transsibérien, il décima, littéralement et au sens romain, le personnel du chemin de fer. Un fonctionnaire sur dix fut exécuté !

Cette méthode impitoyable, qui rappelle l’épieu de fer d’Ivan le Terrible, rend compte de la solidité du bolchevisme. Aucun régime n’a pu s’installer en Russie sans recourir à la rigueur, qui ne produit pas chez le Moscovite des révoltes et des réactions rapides comme dans les autres pays. C’est pourquoi un 9 Thermidor a été vainement attendu. Et une autre cause de la fortune du soviétisme c’est que les chefs avaient juré de ne pas recommencer la lutte de Robespierre et de Danton, même s’ils cessaient d’être d’accord. Ils ont tenu parole comme le prouve le cas de Trotsky.

Le bruit court cependant, et les journaux allemands le propagent, que la mort de Dzerjinsky serait bien soudaine pour ne pas être mystérieuse. Il n’avait que quarante-neuf ans. Sa mort changera‑t‑elle quelque chose de plus que la mort de Lénine ? Tout ce qu’on peut dire c’est qu’en perdant ses créateurs, le ressort du bolchevisme se détend. Mais ne dit‑on pas en Italie que si Mussolini venait à mourir, l’organisation fasciste continuerait aussi ?

L’Action française, 24 juillet 1926.