Je conçois que l’on ne veuille plus qu’il y ait de fortunes particulières, ni grandes, ni moyennes, ni petites. Je conçois cette fureur de destruction. Ce qui ne se conçoit pas, c’est un système alimenté par la richesse individuelle et qui, au lieu de l’entretenir, s’applique à l’épuiser.
Toutes les lois existantes, celles que l’on vote et celles que l’on votera encore, ont un résultat qui commence à devenir palpable. Le capital fond aux mains des particuliers par les prélèvements du fisc et il ne peut plus se reconstituer, quand il se reconstitue, que dans une mesure insuffisante. D’autre part, il est vrai, les capitaux s’accumulent à la Caisse des dépôts et consignations qui, théoriquement, devra détenir au bout d’un certain nombre d’années toute la fortune française, les rentiers bourgeois ayant fait place aux rentiers sociaux.
Que sont les 80 et quelques milliards qu’a déjà à gérer l’établissement de la rue de Lille ? Exactement ce qu’on appelle des biens de mainmorte. Ces milliards ne sont soumis à aucun des impôts qui frappent les personnes, ni l’impôt sur le revenu ni les droits de succession.
Ce sont des biens soustraits au fisc. Il en est exactement de même, selon l’excellente remarque de M. de Fels, pour les monopoles. Chaque fois qu’une industrie est nationalisée ce sont des recettes perdues pour le Trésor public.
D’où il résulte qu’il faut pressurer davantage le reste des fortunes particulières dont l’épuisement se trouve par là même hâté.
Un auteur d’autrefois, Grainville, a écrit le Dernier homme, livre inconnu qui transportait Michelet. Qui donc pense au dernier capitaliste ? Qui pense par conséquent au dernier contrôleur des contributions directes qui se trouvera devant le dernier assujetti pour expirer tous les deux dans un souffle suprême ?
Je suppose que Léon Blum voit très bien où l’on va. Quand il n’y aura plus du tout de « fortune acquise », tout s’effondrera puisque tout repose sur l’exploitation des possédants. Et alors il n’y aura même plus lieu de parler de rente. Mais les autres ne voient rien du tout. Ils croient que cette affaire-là peut marcher indéfiniment et que cette excellente épargne fera éternellement son devoir. Elle se sera lassée avant d’être exterminée.
Il n’y aura pas toujours des naïfs pour acheter des valeurs mobilières, devenues les victimes de choix de la fiscalité. Quand il y a un coupon, il est mangé par les taxes. Pour toucher ce qu’il en reste, il faudra, d’ici quelques semaines, être muni d’une carte. Et vous croyez que vous trouverez encore des souscripteurs pour vos emprunts ?
Oui, peut-être des vieux, attachés à des habitudes et qui se soumettent en gémissant. Les jeunes, n’y comptez pas. Ils ne mettront plus leurs économies, pour autant qu’ils auront le goût et le moyen d’en faire, dans ces papiers dont la face contient le non-paiement, la faillite totale ou partielle, l’insécurité du fonds et des intérêts, tandis que le revers présente la menace de l’inquisition et de la dénonciation, bref le maximum des inconvénients, des tracas et des déboires réunis sur un fragile papier.
Il ne faut plus grand’chose pour que les valeurs mobilières soient totalement démodées. On plaint déjà ceux qui en ont. Bientôt on se moquera d’eux. Les socialistes poursuivent d’une haine tenace le titre « au porteur » qui, d’ici peu, ne « se portera » plus. Plus d’un jeune d’aujourd’hui, trouvant dans la succession paternelle des fonds russes et même des fonds français qui n’offrent de différence avec ceux-là de n’avoir perdu que quatre cinquièmes au lieu de cinq, se sont dit : « Ce pauvre papa, quelle drôle d’idée il avait d’avoir de ces trucs-là. »
Cependant l’État comptera toujours, dans ses évaluations budgétaires, le produit des taxes sur les valeurs mobilières, le rendement des impôts sur les opérations de Bourse et, pour combler le déficit, sur les braves gens qui s’en vont à la souscription comme les cuirassiers de Reichshoffen allaient à la charge.
L’Action française, 25 décembre 1933.