La fin du monde

J’ai lu dans une chronique scientifique d’Henri de Varigny qui nous apprend comment le monde finira. C’est déjà une idée très reposante de savoir qu’il doit finir. Il est en même temps agréable de savoir que ce n’est pas pour demain.

Il paraît que le soleil, à force de brûler, perd tous les jours un peu de sa substance. À mesure que sa masse diminue, la terre s’éloigne de lui et un âge viendra ou, de notre globe gelé comme crédits en Allemagne, il n’apparaîtra plus que sous la forme d’un lumignon.

Ainsi les générations futures sont condamnées à mourir de froid après avoir repassé par l’état de Lapons. C’est exactement le contraire de l’anticipation de Renan qui, lui, voyait les derniers hommes, repus de bien-être, mourant comme des crétins en se chauffant au soleil.

Étant donné toutefois que la distance entre notre planète et l’astre du jour ne s’accroît que d’un mètre par siècle, le danger de congélation n’est pas imminent. Ce bas monde en a encore pour plusieurs dizaines de millions d’années, ce qui laisse de la marge au genre humain.

Mais grâce aux perspectives d’avenir que nous ouvre M. de Varigny chacun peut justifier son système. Pour l’optimiste, ce monde est vraiment le meilleur des mondes possibles puisqu’ il finira non dans une catastrophe affreuse mais par extinction lente et dans un délai si long que nous n’avons pas à nous en préoccuper. Pour le pessimiste, ce sera tout de même une fin très laide, et de plus si lointaine, que l’humanité a encore le temps d’accumuler les sottises et les crimes.

Le sceptique dira qu’il a bien raison de ne pas prendre au sérieux une future boule de glace qui roulera dans les ténèbres. Quant au spéculateur, il songe à celui qui saura prendre position en vue de la hausse certaine des terrains sous les tropiques. C’est-à-dire, en somme, que le monde va toujours son train.

Jacques Bainville, Candide 1931.