En ce temps-là, le dernier vice-roi de l’Inde, réduit depuis plusieurs années au chômage, agonisait dans un hospice de Londres.
Le troisième ministère travailliste avait reconnu l’indépendance de toutes les possessions et protectorats britanniques. L’Inde, l’Égypte, l’Irak, Ceylan, Singapour avaient des gouvernements autonomes. On avait aboli les vieux traités avec la Chine, et les concessions européennes dans les grandes cités chinoises de négoce n’étaient plus qu’un souvenir. Les Antilles anglaises avaient été cédées aux États-Unis, les dernières troupes qui gardaient le canal de Suez retirées. Bien entendu, Chypre était à la Grèce, Malte à l’Italie et Gibraltar à l’Espagne.
D’ailleurs l’Inde était à feu et à sang, des guerres terribles ayant éclaté entre les religions et les races, et le dernier sioniste venait d’être massacré en Palestine. Sur l’Égypte, des mamelouks soviétiques régnaient comme en Géorgie.
Un à un, les marchés ordinaires du commerce britannique s’étaient fermés. Il n’y avait plus d’indigènes pour acheter des cotonnades. Les armateurs faisaient faillite. Le nombre des chômeurs était monté à sept millions. Il leur était alloué dix livres sterling par jour, la livre sterling ne valant plus que quelques fractions du dollar, et le chancelier de l’Échiquier venait d’annoncer que pour l’exercice prochain, il ne saurait où trouver des fonds, le produit de l’income-tax étant réduit à rien par la disparition des grandes fortunes et la ruine des classes moyennes.
Un chef socialiste de Liverpool, un ancien marin nommé Jack Tar, se leva alors pour demander des colonies. On lui fit observer qu’il n’y en avait plus à prendre dans le monde, la France ayant perdu l’Indochine. Madagascar, etc. depuis qu’on lui avait interdit de construire des sous-marins. Il n’était pas question de subjuguer de nouveau deux cents millions d’Hindous qui avaient pris définitivement conscience d’eux-mêmes. Quant à l’Afrique, des Républiques d’hommes noirs évolués s’y fondaient, avec la protection de l’Amérique, sur le modèle de la République de Libéria.
Alors Jack Tar, devenu aussi populaire que l’avait été quelques années plus tôt Philip Snowden, fit savoir qu’on l’avait mal compris et que les colonies naturelles de l’Angleterre étaient moins lointaines, qu’elles se trouvaient par exemple en Algérie, encore détenues indûment par la France. Il rappela aussi que, dans un temps où l’on ne connaissait pas l’Inde, l’Angleterre colonisait Calais et Bordeaux et qu’au surplus la richesse de l’ouvrier français, qui continuait à manger à peu près deux fois par jour, était un défi insolent à la misère du prolétaire britannique.
Nous ne prolongeons pas davantage une parabole dont le point de départ – l’indépendance de l’Inde en voie de s’accomplir par les soins du gouvernement travailliste – est cependant vrai.
L’Action française, 8 novembre1929.