Boni de Castellane avait écrit l’Art d’être pauvre, ce qui fut sa suprême élégance. Personne n’a su dire comme lui : « Je n’ai plus un sou. »
Mais il mettait aussi une certaine fierté à prouver qu’il était capable de faire fortune, tout comme un autre. Jadis, au temps de sa splendeur, il avait rempli son palais de l’avenue Malakoff de meubles, de tableaux, d’objets d’art qu’on obtenait alors à des prix qui paraissaient énormes et qui, aujourd’hui, même après la crise, seraient dérisoires. Il n’y avait qu’à attendre, à laisser faire. La collection Castellane eût valu un milliard.
L’accident était arrivé, le papier timbré aussi. L’admirable collection, taxée de folie, avait été dispersée. Et puis on s’arracha les antiquités à coups de chèques. Elles atteignirent des prix vertigineux. Boni de Castellane n’avait pas un regret. Il ne poussait pas un soupir. Il triomphait à chacune des enchères où repassaient les pièces rares de son ancien musée. « Vous voyez, disait-il, comme j’avais raison. On me traitait de dissipateur. J’étais un prévoyant de l’avenir. »
En effet, nous avons vécu une époque où il valait mieux avoir acheté n’importe quoi plutôt que de la rente. Et le grand seigneur, qui avait pour Plutus un dédain que ce dieu bourgeois lui rendait avec dureté, n’avait pas tort de prétendre que son goût était à lui seul une richesse et qu’on ne fait vraiment fortune qu’avec des idées.
Seulement il faut pouvoir conduire l’idée jusqu’au bout. C’est l’histoire de tant de spéculateurs qui avaient du génie et à qui, pour réussir, il n’a manqué qu’un an, trois mois, quelquefois quinze jours.
Je suis d’ailleurs convaincu qu’on parlera de Boni de Castellane comme d’un personnage légendaire. Notre époque, où de telles existences auront été possibles, paraîtra romanesque et fabuleuse. On écrira sa vie. On le mettra au théâtre. D’ici un certain nombre de siècles, on le confondra peut-être avec don Juan. Il en avait l’insolente bravoure. Et la statue du Commandeur qu’il avait défiée s’appelait l’argent.
Ref:Hrld