Le retour aux affaires de M. Caillaux cause, en Angleterre, un embarras qui serait comique s’il ne s’agissait de choses aussi graves.
Nul n’ignore, en effet, que les poursuites avaient été engagées contre M. Caillaux, pendant la guerre, au temps de la plus grande intimité franco‑anglaise et sous le ministère Clemenceau. Nul n’ignore qu’à ce moment-là le gouvernement britannique, ainsi que la presse et l’opinion d’outre-Manche, accueillirent ces poursuites avec satisfaction. On dit même que le cabinet de Londres avait conseillé au gouvernement français de mettre le député de Mamers hors d’état de nuire.
C’est que M. Caillaux était considéré par l’Angleterre comme un adversaire personnel. Et, mon Dieu ! elle n’avait pas tort. Mais M. Caillaux était conséquent avec lui-même. Il savait, au moins, lier ensemble deux idées. Partisan d’un rapprochement et d’une collaboration avec l’Allemagne, il était conduit à s’opposer à l’Entente cordiale et, de fil en aiguille, à la politique anglaise. D’où le mot qui lui fut prêté pendant son procès : « Si nous avions eu la guerre avec les Anglais, quelle Haute Cour pour Clemenceau ! »
Ces souvenirs ne sont pas tout à fait effacés en Angleterre. Aussi, le retour de M. Caillaux est-il accueilli avec réserve malgré les précautions qu’a prises ces temps-ci l’ancien condamné et malgré certaine correspondance du Times, qui répondait de ses sentiments. Néanmoins, il est rare que nous ayons rencontré ces temps‑ci des Anglais sans qu’ils nous aient demandé, avec une nuance d’inquiétude : « Est‑ce que vraiment vous croyez au retour de M. Caillaux ? »
Nous avons toujours répondu, parce que c’est la réponse vraie et naturelle : « La politique de rapprochement et de réconciliation avec l’Allemagne appelle, nécessite le retour de M. Caillaux. Elle le réhabilite même. On dira en France que M. Caillaux avait bien raison de dénoncer la guerre comme une folie commise dans l’intérêt de l’Angleterre. Mais qui a voulu la réconciliation de la France avec l’Allemagne, c’est-à-dire, tôt ou tard, une collaboration franco‑allemande ? Qui a voulu le relèvement de l’Allemagne et la reconstruction de l’Europe, c’est‑à‑dire le retour à la situation de 1914 ? C’est l’Angleterre qui, depuis cinq ans, a voulu avec persévérance réaliser les idées de M. Caillaux. Nous ne voyons donc pas de quoi elle pourrait se plaindre s’il revient aux honneurs et au pouvoir. »
On n’avait pas manqué, en France, et surtout dans la presse française, d’avertir l’Angleterre qu’il n’était pas bon de trop pousser les Français vers l’Allemagne. Mais un Anglais de bonne maison n’écoute pas et ne lit rien, et n’accorde pas plus d’attention à des raisons données en langue française qu’au Râmâyana ou aux lois de Manou.
L’Action française, 27 avril 1925.