Le choix du successeur

Depuis plus de deux siècles nous avons eu à nous louer, dans nos rapports avec l’Angleterre, des conservateurs plus que des libéraux. En règle générale, nos plus âpres conflits ont eu lieu sous des ministères whigs, les réconciliations sous des ministères tories. Pourquoi ? Parce que les passions religieuses et idéologiques l’emportent chez les premiers, les considérations politiques chez les seconds. Un radical, un travailliste anglais d’aujourd’hui ont gardé, sous d’autres formes et d’autres noms, l’horreur du papisme et cette horreur dicte leurs idées, leurs préférences et leurs choix, elle les pousse à se mêler des affaires européennes à tort et à travers, même contre l’intérêt de leur pays, ou quand l’intérêt de leur pays n’est pas en jeu.

Les réalistes, ce sont les conservateurs. Ils représentent l’école du bon sens. Au moins, ils n’ont qu’un parti pris clair et connu, qui est d’assurer la grandeur de l’Empire britannique. Lorsque les tories, il y a deux siècles, mirent fin à la guerre de succession d’Espagne, c’est parce qu’ils jugèrent que cette guerre avait rapporté à l’Angleterre tout ce que l’Angleterre pouvait espérer et qu’il fallait en consolider les résultats. Ils ne tenaient pas à exercer une vengeance sur Louis XIV ni à se battre sans fin et à dépenser des millions pour les beaux yeux de l’empereur. Stanhope laissa à la France ses frontières. Il laissa un Bourbon sur le trône d’Espagne. Mais sur mer, aux colonies, sa rafle fut immense. De Dunkerque à la baie d’Hudson, de Gibraltar à l’Amérique du Sud, il promena un vaste filet.

On peut déduire de là, ainsi que d’autres exemples qui se succèdent jusqu’à l’arrangement de 1904, qu’il est possible de nous entendre avec les conservateurs anglais pour les affaires continentales, de compter même sur la « neutralité bienveillante » à laquelle M. Bonar Law a attaché son nom dans les cas où ils ne nous approuvent pas. À une condition : c’est que nous leur abandonnions l’empire de la mer, que nous n’éveillions aucune de leurs susceptibilités traditionnelles (en Belgique particulièrement), que nous ne les gênions, que nous ne nous trouvions sur leur chemin nulle part : à Fachoda il y a vingt‑cinq ans, en Orient aujourd’hui.

Ces éléments se sont rencontrés à des degrés divers dans la politique de M. Bonar Law, conservateur d’un type très pur, bien qu’il fût un homme nouveau. Il a calmé maintes fois des collègues impulsifs et l’on a déjà pu observer, au Foreign Office, durant l’absence qui a précédé sa démission, un changement de ton peu avantageux. C’est dire combien comptera le choix de son successeur. Un conservateur fidèle à la méthode que nous avons dite, capable d’être influencé par l’esprit de système des radicaux et des travaillistes peut changer très vite en veto la neutralité bienveillante. C’est tout ce qu’attend l’Allemagne et ce n’est pas encore ce qui hâtera sa soumission. Mais le gâchis peut en être horriblement aggravé.

L’Action française, 22 Mai 1923.