Il y a une quinzaine de jours, un député national libéral proposait au Reichstag qu’une statue ‑ colossale, naturellement ‑ fût élevée dans l’île d’Héligoland au chancelier Caprivi, avec cette inscription : « Au protecteur des côtes allemandes. »
C’est Caprivi qui, en effet, il y a un quart de siècle, dans les premières années du règne de Guillaume II, a négocié le traité, mille et mille fois regrettable, par lequel l’Angleterre, en échange de je ne sais quels Zanzibars, abandonnait Héligoland aux Allemands. Héligoland, c’était un îlot qui, aux yeux des peuples distraits et des hommes d’État imprévoyants, n’offrait aucune valeur. Mais Guillaume Il pressentait déjà peut‑être qu’un jour pourrait venir où son Empire entrerait en conflit avec la Grande‑Bretagne. Et pas plus en 1890 qu’en 1870, les Anglais n’avaient aperçu les tâches et les dangers qui devaient surgir pour eux de l’Allemagne puissante sur terre et qui serait fatalement tentée de dominer aussi sur la mer.
Le Reichstag n’a pas eu tort de le reconnaître : si Héligoland n’était pas entre les mains allemandes, ‑ les côtes de l’Empire ne seraient pas en sûreté. Le rocher que lord Salisbury avait cédé à si bon compte est devenu une île de fer et de feu, un refuge pour la flotte ennemie, une citadelle d’où l’on pouvait menacer l’embouchure de l’Elbe et qui la protège à présent. C’est à l’abri d’Héligoland que l’escadre allemande a encore préparé son attaque il y a trois jours.
Combien de Zanzibars l’Angleterre ne donnerait-elle pas aujourd’hui pour rentrer en possession du rocher jadis dédaigné ! Et quelle leçon à retenir pour les grandes puissances qui ne sauront jamais trop que les colonies se conquièrent et se gardent en Europe, et que n’importe quel bout de terre européenne a plus de valeur qu’un sultanat africain.
L’Action française, 4 juin 1916