Après l’humiliation d’Arkhangel, après l’humiliation d’Odessa, l’humiliation d’Irkoutsk atteint durement la politique des Alliés en Russie. Jusqu’à preuve du contraire, nous nous refusons à croire qu’un général français ait livré l’amiral Koltchak aux bolcheviks, c’est-à-dire à l’ennemi. Ce qui est probable, ce qui transparaît déjà, c’est que le général Janin et la mission française, perdus dans l’immensité sibérienne, ont été impuissants lorsque le roman d’aventure des légions tchéco-slovaques a mal tourné.
On dira que, si le général Janin avait eu plus de monde avec lui, il lui eût été possible de sauver Koltchak et l’honneur. Mais combien de monde ? On n’occupe pas la Sibérie, ni même la Crimée, avec quatre hommes et un caporal. Dans la voie de l’intervention militaire, jamais il n’y aurait eu assez de monde pour rien, pas même pour surveiller les Tchéco‑Slovaques dont l’Anabase se termine par une trahison et une débandade.
Il y a longtemps que les personnes raisonnables ont reconnu que nous n’avions sur la Russie aucune prise directe. Le péril russe n’en est pas moins certain. Ce péril est à la fois européen et asiatique. Eh bien, en Asie, les Anglais cherchent à le conjurer par la Turquie et par la Perse. En Europe, c’est par l’Allemagne que le mal doit être traité.
L’armée rouge ne sera vraiment dangereuse pour l’Occident que le jour où la masse russe et la masse allemande se seront fondues. Sur la Russie, nous ne pouvons rien. Sur l’Allemagne, nous pouvions tout et nous pouvons beaucoup encore. C’est elle qu’il faut rendre incapable, par des mesures préventives, de détruire un jour la paix avec le concours de la Russie.
En ce moment, le gouvernement de Berlin essaye, au moins pour la troisième fois, d’amollir les Alliés en évoquant le spectre du communisme. Pour ne pas avoir à livrer les coupables, pour conserver celles de leurs organisations militaires dont les contingents dépassent les limites fixées par le traité et celles qu’ils ont créées par fraude, les dirigeants du Reich prétendent qu’ils sont menacés d’une nouvelle révolution. D’après les meilleurs observateurs, c’est le contraire qui est vrai. Un puissant mouvement de réaction commence à soulever l’Allemagne. Ce n’est pas un adolescent du groupe Spartakus mais un jeune nationaliste qui a tiré sur Erzberger, l’homme de l’armistice et de la paix. Quelle erreur ce serait, dans un pareil moment, de ménager l’Allemagne et de lui permettre de se fortifier !
L’Action française, 31 janvier 1920