L’ouvrage de Jeanne d’Arc

Rien ni personne n’excusera jamais les Anglais d’avoir brûlé Jeanne d’Arc. Mais on comprend leur rage. Jamais on ne perdit partie plus près d’être gagnée. Et quelle partie, celle qui avait le plus beau royaume du monde pour enjeu !

Jamais la France n’est tombée plus bas que le 20 mai 1420. Le traité de Troyes est le plus honteux de notre histoire. La pire honte est que tous les corps constitués, le Parlement, l’Université, les états généraux l’avaient accepté et contresigné. Les Français livraient leur pays.

Ce traité était combiné admirablement pour faire passer la couronne de la dynastie française à la dynastie anglaise. Charles VI, le roi régnant, était fou. Non seulement on lui avait arraché son consentement, mais on avait obtenu de lui qu’il déclarât que le dernier fils qui lui restait était un bâtard. Le dauphin n’était plus que le « soi-disant dauphin ». Henri V, le roi d’Angleterre, avait, de plus, épousé une fille de Charles VI. Il était entendu qu’à la mort de ce dernier, Henri V lui succéderait.

Il arriva que, jeune et plein de forces, Henri V mourut en 1422, deux mois avant Charles VI, ne laissant qu’un fils de neuf mois. Cet événement devait permettre de tout sauver. En effet, l’enfant incapable de prononcer le serment, ne pouvait recevoir le sacre de Reims. Sans le sacre, pas de roi. La place restait libre pour Charles VII.

Celui-ci, toujours dauphin, n’en était pas dans une situation meilleure. Il ne pouvait aller à Reims, qu’occupaient les Bourguignons alliés des Anglais. Il n’avait pas d’argent, à peine de troupes. Il doutait de tout, de sa cause, de sa naissance, de sa légitimité. Les Anglais étaient maîtres de Paris. Il n’était plus que le « roi de Bourges ». Un moment il songea à se réfugier dans le Dauphiné. Il erra pendant sept ans.

Cependant, le régent anglais, Bedford, avait entrepris de soumettre méthodiquement la France. Il assiégeait Orléans qui résistait encore. Si Orléans tombait, on sentait que tout était fini et que la cause nationale succombait.

C’est à ce moment que Jeanne d’Arc parut. Tout ce qui se sentait français faisait des vœux pour la délivrance d’Orléans. Jeanne d’Arc incarna le sentiment patriotique. Elle fit mieux.

Sa « mission » consista d’abord à rendre à Charles VII confiance en lui-même. Ensuite elle le convainquit, ainsi que les militaires qui lui étaient restés fidèles et qui étaient fort découragés, qu’il importait d’abord de délivrer Orléans. Ce qui fut fait, l’élan ayant été rendu au parti français par l’héroïne miraculeuse.

Alors son idée, d’une justesse merveilleuse, fut que ce succès devait être employé sans retard à marcher sur Reims pour y sacrer le dauphin. Le 8 mai 1429, les Anglais avaient levé le siège d’Orléans. Puis ils furent bousculés à Patay. La route était libre. Privées de secours, les garnisons bourguignonnes ouvrirent les portes de Reims. Le dauphin, qui ne fut plus le « soi-disant dauphin » mais Charles VII, reçut le sacre.

Dès lors, le traité de Troyes devenait nul. Il n’y avait plus qu’un roi de France, le seul légitime, le seul vrai.

Aussi conçoit-on la rage des Anglais et du parti bourguignon. Tout était à recommencer. Comme les Anglais sont tenaces, ils essayèrent de reprendre l’affaire par un autre bout. C’est à cette lumière qu’on doit lire le procès de Jeanne d’Arc.

Lorsque l’héroïne fut tombée entre leurs mains, ils cherchèrent moins à se venger qu’à la disqualifier. Si elle n’était qu’une sorcière, un suppôt du diable tout ce qu’elle avait fait était également l’œuvre du démon. La condamnation de Jeanne d’Arc devait être celle de Charles VII

Aussi le procès de Rouen fut-il conduit avec le plus grand soin. On y amena les théologiens les plus illustres, des inquisiteurs réputés.

Jeanne d’Arc fut brûlée, mais le crime fut inutile et le sacrifice ne le fut pas. Le parti français en reçut un nouvel élan. Le martyre fut fécond. Il eut un retentissement et causa une horreur immense. Selon le vœu de la « bonne Lorraine », l’union nationale se refit. Paris même se lassait de la domination anglaise et de voir les « godons » installés au Louvre et à la Bastille. Le duc de Bourgogne fut assez fin pour sentir qu’il avait intérêt à revenir vers lé parti français. Il se réconcilia avec Charles VII. Un an plus tard les Parisiens ouvraient leurs portes aux gens du roi et aidaient Richemond à expulser la garnison anglaise.

Cependant, les juges de Rouen avaient si bien monté leur procès qu’il fallut réhabiliter Jeanne d’Arc pour qu’il ne restât aucune ombre sur le sacre de Charles VII Le procès de réhabilitation eut lieu en 1456. Beaucoup des juges de Rouen vivaient encore. Ils se rétractèrent sans dignité, Leur palinodie fut peut-être encore plus laide que les assises présidées par Cauchon. À chaque fois, on vit l’espèce humaine sous un bien triste aspect.

Ref:Hrld