Le nom de Claudio Trèves ne dit pas grand-chose à la jeunesse d’aujourd’hui. Saluez ce militant, mort dans un exil obscur. Il fut jadis de ceux qui, avec Bedel et Jaurès, annonçaient l’Internationale qui devait être le genre humain.
L’autre jour, un cortège étrange s’est acheminé vers le Père-Lachaise. Derrière la dépouille de Claudio Trèves, ancien député de Milan, ancien directeur de la Libertà, ancien chef du parti socialiste italien, c’était un défilé de proscrits. Il y avait là, avec le drapeau antifasciste, une poignée d’irréductibles qui ont fui la terre de Mussolini et qui regrettent les beaux jours où ils menaçaient la société à Montecitorio. Et ils étaient accompagnés, nous disent les journaux, par les « délégués de la social-démocratie en costume ».
Ce dernier détail laisse rêveur. Quel peut être l’uniforme des socialistes allemands persécutés par Hitler ? En tout cas, le chant que l’on entendait au colombarium du Père-Lachaise n’était pas Giovinezza. C’était du passé qui s’en allait.
Et il y a des gens qui trouvent que notre temps est plat ! Mais il est rempli de situations dramatiques à faire la fortune d’un romancier. Balzac, se promenant aujourd’hui dans Paris, puiserait des sujets à pleines mains. Cet homme près de qui je viens de passer, est-ce un Romanof ou est-ce Kerensky ? Et votre voisin d’autobus, c’est peut-être un grand d’Espagne chassé par la révolution ou un ancien ministre du Reich chassé par Hitler.
Alphonse XIII, lorsqu’il était encore roi, avait eu l’élégance d’envoyer une couronne aux obsèques de Salmeron, président de la République espagnole, la première. Don Alfonso ne s’était pas seulement comporté en gentilhomme. Avec esprit et mélancolie, il avait indiqué le « Chacun son tour ».
Et c’est le thème qu’aurait dû développer M. Paul Faure lorsqu’il a prononcé l’éloge funèbre du camarade Claudio Trèves. En 1815, les régicides avaient pris sur la terre étrangère la place des émigrés. Qui peut se flatter de ne pas être un exilé demain ?
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