Albert Londres est porté manquant parmi les passagers du Georges-Philippar. On veut encore espérer qu’on le retrouvera et que prédestiné aux aventures, il a été mené par son canot de sauvetage vers une côte inhospitalière. Mais il avait lui-même un autre pressentiment.
Je l’avais rencontré naguère à bord d’un bateau et c’était là surtout qu’on pouvait le rencontrer, car il était toujours sur les routes de la mer. Dès qu’on se tirait des coups de fusil et que des mitrailleuses entraient en action sur un point du monde, Albert Londres bouclait sa valise. Je ne sais plus d’où il revenait, cette fois-là, mais il s’était encore promené au milieu des balles que des fanatiques, quelque part en Asie, échangeaient pour des causes obscures.
— Quant à moi, me disait-il, je sais bien qu’à force de naviguer j’irai dormir par plusieurs brasses de fond.
C’était un globe-trotter poète et nonchalant, nullement un Capitaine Fracasse du grand reportage. Il vivait dangereusement, par goût et par choix, sans pose ni défi, comme sans illusion sur la fin qui l’attendait.
Du moins avait-il l’habitude de coucher à la belle étoile, son domicile le plus ordinaire avec les chambres d’hôtel, les couchettes des wagons – lits et les cabines des paquebots où l’on dort entre l’incendie et le naufrage. Et il n’avait ni femme, ni enfants, ni propriété.
Il y a une multitude de Français qui ont tout cela, qui sont casaniers, qui sortent rarement de leur village, qui auraient horreur de courir les grands chemins, qui cherchent avant tout à se mettre à l’abri d’une vie accidentée et qui pourtant, un certain jour, qui revient à peu près tous les quatre ans, jouant leur destin avec leur bulletin de vote, appellent le naufrage et l’incendie. C’est la grande aventure chez soi.
J’aime mieux Albert Londres, qui savait ce qu’il faisait et qui ne comptait pas mourir tranquillement dans son lit, entre une pension de retraite et un livret de Caisse d’épargne.
Candide, 1932