Qu’y a-t-il de plus bête sur la surface de la terre ? Un socialiste ou un banquier ? Ces deux qualités ne sont d’ailleurs pas incompatibles. Il y a des banquiers qui sont socialistes et des socialistes qui sont banquiers. En tout cas, les hommes qui sont à la tête des plus grandes affaires d’argent du monde n’ont eu pour le socialisme aucune répugnance et ils lui ont fourni des crédits après lesquels, maintenant, ils peuvent courir. De sorte qu’on a le droit de déclarer que socialistes et banquiers auront, pour des parts presque égales, ruiné le monde.
Selon qu’on avait bon ou mauvais cœur, on a plaint, blâmé, raillé l’épargnant français d’avant guerre qui plaçait son argent en n’importe quoi et n’importe où, qui ne faisait pas de différence entre les peuples, pour qui des fonds d’État étaient nécessairement des titres de tout repos et qui s’en allait courir des risques effroyables dans des pays dont il avait à peine entendu parler, dont il était incapable, même s’il les connaissait de nom, d’apprécier la solvabilité. Le martyrologe de l’épargne française est célèbre. Et celui de la haute banque ? Il le dépasse maintenant de plusieurs centaines de milliards.
Quelle différence peut-on faire entre le pauvre petit rentier français qui avait dans son portefeuille des papiers multicolores et exotiques réduits aujourd’hui à l’état de douloureux souvenirs, et les savants manieurs de capitaux qui ont « investi » des sommes immenses dans des contrées où règne la faillite ? Car on dit « investir » à partir de 100 millions, et « placer » quand il s’agit de 500 francs, mais l’opération est identique. C’est exactement la même chose. Sans aucune hésitation, les magnats de la finance ont arrosé l’Autriche marxiste, l’Allemagne socialisée, l’Australie travailliste, l’Angleterre de Ramsay Macdonald, sans compter les Soviets dont les traites ont été escomptées directement ou indirectement. On a vu les financiers hollandais, réputés habiles entre les habiles, compromettre le Jonkheer Gulden, riche et puissant seigneur Florin lui-même, par des avances aux plus suspects des gouvernements. Et, devant des livres sterling en déconfiture, des conseils d’administration rêvent à la présentation de leurs bilans prochains.
Nous avons entendu de nos oreilles le chef d’une des plus puissantes maisons du monde, un homme à qui des milliards sont confiés, déclarer que l’obligation Young serait la meilleure valeur de l’univers et de tous les temps. L’obligation Young, émise à 982 francs il y a dix-huit mois, en vaut aujourd’hui 499. Que diriez-vous d’un médecin, d’un mécanicien, d’un artisan quelconque qui commettrait une erreur d’aussi forte taille ? Et, bien sûr, si les hommes de finance ne se trompaient jamais, ils seraient trop riches. De là à se tromper du tout au tout et à perdre l’argent qu’ils ont pour mission de guider, c’est-à-dire le capital des nations civilisées, il y a un pas. Ils l’ont franchi.
Ils ont commis deux fautes énormes qui menacent de faire sauter la machine financière du monde. Ils n’ont pas cru, malgré des exemples répétés, qu’il y avait un lien étroit entre la politique, les finances et la monnaie d’un pays. À cette incrédulité, s’est ajoutée une crédulité non moins funeste. Ils ont cru au relèvement de l’Allemagne. Ils l’ont aidé. Ils ont eu confiance en l’Allemagne. Ils ont mis cette confiance en pratique avec de l’argent comptant, de l’argent qu’ils ne revoient plus. Crédit vient de croire. Eh bien ! il ne faut croire qu’à bon escient. On n’a pas le droit d’errer à ce point-là. Ou bien crédit ne veut dire que jobardise, manque de jugement, imprévoyance et incapacité.
La Liberté, 10 octobre 1931.