La Marseillaise devenue réactionnaire

La distribution des prix étant une des cérémonies les plus ennuyeuses que l’on afflige à l’enfance, à cause de la longueur des discours, j’envie les élèves de Louis-le-Grand qui ont eu la distraction d’un chahut. Ils ont eu le privilège de voir le général Nollet, en grand uniforme, arrêter de sa main les interrupteurs de M. Herriot. Quel dommage que le général Nollet, quand il était à Berlin, n’ait pas eu la même énergie ! Le désarmement de l’Allemagne ne ferait plus question.

Il n’en est pas moins vrai qu’un ancien président du Conseil, président de la Chambre, sifflé dans un lycée de l’État, c’est un scandale inouï.

De mon temps, le lycée était républicain. Sans provocation mais avec fermeté, il se dressait en face de la « jésuitière ». Quand nous aurons l’école unique, on manifestera toute la journée. Il n’est pas bon de vouloir imposer des opinions à la jeunesse. Tout le monde sait que Stanislas a été une pépinière d’anticléricaux. On est en train de nous fabriquer le contraire.

Cependant les élèves de Louis-le-Grand auront pris une bonne leçon de choses. Je conseille à leurs professeurs de leur donner, à la rentrée, une dissertation sur ce thème bien connu : « De la difficulté d’écrire l’histoire. »

D’après les journaux de l’opposition, ce fut « une tempête de protestations et de cris hostiles » lorsque M. Herriot, en habit, se leva pour prendre la parole. Pendant vingt minutes, sa voix fut couverte par les clameurs. Enfin apparut la police qui intervint « durement » et à laquelle le général Nollet, « dirigeant les opérations », prêta main-forte. La Marseillaise, devenue réactionnaire comme nul ne l’ignore, retentit, non pas pour célébrer les lauréats déjà couronnés, mais pour attester la patriotique indignation des lycéens.

Si vous consultez, au contraire, un journal dévoué au Gouvernement, vous y voyez que l’incident a été très peu de chose. On ne parle plus de la conduite dés opérations par le stratège Nollet. Les arrestations se réduisent à deux, encore n’ont-elles pas été maintenues. La foule des invités et des élèves a imposé silence aux perturbateurs et « acclamé frénétiquement le président de la Chambre ». Ce récit est dû à un témoin oculaire qui est une « personnalité officielle du lycée ».

Entre les deux versions ; il faudrait Choisir. Mais pourquoi la Chambre a-t-elle choisi la plus dramatique ? Les députés du Cartel ont acclamé M. Herriot et flétri les « assassins » de Louis-le-Grand. En mettant tout au pire, les potaches n’avaient pourtant assassiné d’interruptions qu’un discours, ce qui est l’habitude au Palais-Bourbon.

Ref:Hrld