À quelque chose malheur est bon, ou, selon la traduction d’un peuple marin, il faut qu’un vent soit bien mauvais pour qu’il ne souffle rien de bon à personne. Le décollement de la livre sterling aura servi à quelque chose. Il a montré qu’on avait fait entièrement fausse route avec la fameuse politique du relèvement et de la restauration économique de l’Europe. Cette politique elle-même a eu pour instrument les crédits qui se sont enflés jusqu’à faire comme la grenouille de la fable, qui creva. Et cette autre sorte d’inflation, qui aura fini comme l’autre, a été rendue possible par un système monétaire généralisé qui n’adhérait pas d’assez près à la réalité de l’or.
En ce moment, par les mers et par les airs, le jaune métal voyage. Il se redistribue tout seul. Du Japon ou de la République argentine il va aux États-Unis qui, pendant ce temps, en expédient en France d’où il repasse en Suisse ou en Belgique, etc. Quelle est la cause de ces mouvements ? La chute de la livre sterling a fait sentir aux pays dont la monnaie, au lieu d’être gagée par de l’or, était gagée par une autre monnaie à valeur or, que c’était une situation dangereuse, qu’elle exposait du jour au lendemain la devise nationale à sombrer avec celle de la devise garante. L’expérience de la livre sterling a condamné le système dit du gold exchange standard.
Premier point. Un autre est acquis. Ce système a permis de multiplier les crédits. Il a causé l’inflation des crédits puisque la même quantité d’or servait à gager deux quantités de monnaie. On croyait que les crédits seraient bienfaisants. Mais on avait cru aussi, avant l’épreuve, que l’inflation monétaire pure et simple pouvait l’être. Jusqu’à ces tout derniers jours, on affirmait encore qu’il fallait généraliser et même augmenter les crédits pour sauver l’Allemagne et le monde. Mais soudain le voile s’est déchiré.
De quoi s’aperçoit-on ? Que le jour où l’on redemande les crédits au pays qui en a le plus reçu, c’est-à-dire à l’Allemagne, ou bien ils sont « gelés » ou bien que l’emprunteur en remboursant s’effondre. C’est ce qui se passe en ce moment-ci. C’est la cause de la nouvelle crise du mark. Même histoire en Autriche et, à un plus haut degré, en Russie, où les crédits, repassés par le Reich, sont arrivés à l’état de glace éternelle. Alors il faut constater l’échec du relèvement de l’Europe qui devait, pour restaurer les conditions du commerce tel qu’il fonctionnait avant la guerre, rendre les Allemands et les Russes capables d’acheter et d’échanger.
Ils étaient surtout capables d’emprunter et, par ces emprunts, de produire à des conditions anormales et de faire aux producteurs normaux des autres pays une concurrence déloyale par diverses sortes de dumping. En d’autres termes, le système des crédits, qui a été funeste à la place de Londres et à la livre, servait à entretenir des affaires malsaines. Ne répète-t-on pas assez que la fin de toute crise, dans un pays, doit venir par la liquidation et la disparition des entreprises qui ne reposent pas sur une base solide ? Et ce vieux Darwin, avec sa doctrine évolutive, qu’en a-t-on fait ? Il a enseigné que la loi de la vie, c’était la sélection et la survivance des plus aptes. La nature veut des sacrifices et l’on est allé contre les lois de la nature. Le monde entier ne peut pas engloutir ses richesses dans des gouffres ni se ruiner pour soutenir l’Allemagne, la Russie, leurs finances et leur industrie artificielles. On peut être sûr qu’il ne le fera pas. Ce sera peut-être pour leur propre bien. Et si la nécessité est cruelle, ce n’est que par ce retour à la dure réalité que la guérison viendra.
La Liberté, 6 octobre 1931