Le capitalisme. Et s’il ne mourait pas ?

Je n’emboucherai pas la trompette héroïque pour comparer le capitalisme à l’astre qui versait des torrents de lumière sur ses obscurs blasphémateurs. Il convient de dire plus prosaïquement que petit bonhomme vit encore.

Il vit dans les esprits et dans les mœurs. On compte en France plusieurs millions de propriétaires. Pas un doute ne les effleure sur leur droit de posséder ni sur celui de transmettre leur bien à leurs enfants. La France, dans ses conditions et ses traditions sociales, n’a pas bougé. C’est surtout en province qu’on s’en aperçoit. Notre pays a ainsi l’avantage de la stabilité.

Rome, disait Horace, durera aussi longtemps que la vestale silencieuse montera, derrière le pontife, au Capitole. Bien des choses dureront aussi longtemps que l’on continuera, dans nos campagnes, à mesurer la richesse des particuliers d’après la quantité de terre qu’ils possèdent. L’agriculture a beau souffrir et se plaindre, la crise et la mévente ont beau sévir, les biens au soleil gardent leur prestige, comme si quelque chose disait que ces plaies ne seront pas éternelles. Et ce quelque chose est une sagesse fondée sur une antique expérience.

Il en va autrement pour les valeurs mobilières. Là, incontestablement, le doute existe et la méfiance aussi. Pourquoi ? Ne serait-ce pas parce qu’on lit trop de dissertations et trop le cours de la Bourse ?

Nous en demeurons d’accord : l’homme qui a de l’argent à placer a quelques excuses de rester perplexe. Il entend d’un côté ceux qui recommandent la déflation et de l’autre ceux qui prônent l’affaiblissement de la monnaie. La baisse des prix menace les bénéfices et les dividendes. La dévaluation menace les revenus fixes. Alors l’épargnant s’abstient, tout comme l’âne de Buridan, ce qui l’expose de même à mourir de soif et de faim.

Ce sera pourtant de deux choses l’une. Les risques, présentement, sont égaux de part et d’autre. Les chances sont égales aussi. Un homme judicieux qui tient à la fois à manger et à dormir, a une ligne de conduite toute naturelle à suivre. C’est de jouer sur les deux tableaux et, half and half, de partager ses économies entre le revenu fixe et le revenu variable.

Nous nous le sommes souvent demandé : depuis quinze ans, y a-t-il eu dans le monde un seul individu assez sagace pour mettre à profit les mouvements si nombreux, si rapides et d’une si vaste amplitude qui se sont produits sur les valeurs et sur les monnaies ? Quiconque aurait simplement suivi le précepte de vendre à la hausse et d’acheter à la baisse eût gagné des sommes immenses. Il faut croire que ce spéculateur de génie n’existait pas car on n’entend pas dire que de grandes fortunes se soient élevées, au contraire. Pourtant dix fois de suite depuis la fin de la guerre, des occasions incroyables d’ « aller et retour » se sont présentées. Elles sont encore dans la mémoire de tous et elles eussent permis de centupler la première mise.

On connaît et l’on admire autant qu’on le pratique peu le mot de ce financier à qui l’on demandait jadis le secret de son opulence et qui répondait avec modestie : J’ai toujours vendu trop tôt, ce qui prouvait qu’il n’avait jamais acheté trop tard. On connaît aussi le mot de son confrère qui disait : Moi, je me contente d’être bon. Il y a des moments où l’on désire des valeurs. Je cède les miennes. Il y en a d’autres où l’on désire de l’argent. J’offre le mien.

Il est bien connu que les moutons de Panurge suivent l’autre système. Jamais ils n’achèteront à 1200 francs ce qu’ils gardaient obstinément à 8 000. On a cru que toutes les actions étaient bonnes lorsqu’elles montaient. On les enveloppe toutes dans la même méfiance depuis qu’elles ont baissé, – et que l’on dit que le capitalisme se meurt.

Oui, mais que de regrets s’il avait la vie plus dure qu’on ne pense !

Le Capital, 27 juillet 1934