Le coup mortel au crédit

Le président Roosevelt a demandé et obtenu des pouvoirs extraordinaires pour réduire le dollar jusqu’à la moitié de son taux ancien. Cependant, le dollar, détaché de l’or et abandonné à lui-même, n’a perdu qu’un huitième de sa valeur. Il se défend contre ses meurtriers. Comment et pourquoi ?

D’abord parce qu’il n’avait aucune raison de dépérir. L’Amérique a de l’or, une balance commerciale active, des créances partout. Le dollar devait se maintenir au pair. Il ne baissera pas tant que les émissions massives de billets qui ont été annoncées n’auront pas eu lieu.

Mais, en outre, les détenteurs de dollars cherchent vainement la monnaie qui serait capable de leur offrir un refuge. Voici l’originalité de la situation. C’est un cas pour Edgar Poe, une sorte de nouveau cas de M. Valdemar. Le dollar ne peut pas se tuer. Il ne le peut pas parce que son geste suicide tue les autres monnaies et, par suite, le fait revivre.

Le porteur de dollars prendra-t-il de la livre ? Mais le sterling tendra à garder une certaine parité avec son voisin d’Amérique et si celui-ci se dévalue trop, la cousine se dévaluera. Tu ôtes ta ceinture ? J’enlève mon corset.

Le florin tremble sur sa base. Le franc suisse, superlativement riche en or, est néanmoins visé à travers les dépôts excessifs des banques helvétiques. Le franc belge lutte dans la tranchée où M. de Broqueville se bat avec l’arme des « pouvoirs spéciaux ». Le franc français ? Le Sénat adjure la Chambre de ne pas le compromettre…

Voilà pourquoi le dollar ne baisse pas. Dans un monde monétaire d’aveugles, ce borgne est encore roi.

L’exemple démoralisant que les États-Unis ont donné n’en produit pas moins des ravages qui s’étendent. Plus d’engagements qui tiennent pour les débiteurs. Plus de garanties pour les créanciers. L’Allemagne, nous l’avons dit l’autre jour, ne veut plus payer les coupons de l’emprunt Young qu’au cours du change. Que les porteurs français, hollandais, suisses ne se réjouissent pas trop. À l’échéance prochaine, l’Allemagne annoncera un paiement en marks qui ne peuvent plus sortir d’Allemagne et qui ne sont plus négociés par les cambistes. Le Reich fera pour les intérêts de la « première valeur du monde » ce qu’il a fait pour les réparations. Il dira aux obligataires : « Venez les chercher. »

Mais les débiteurs privés suivent l’exemple. C’est si commode, si tentant ! Le plus puissant des trusts de pétrole avait émis des emprunts stipulés payables en or et placés pour une large part en Amérique. Il dénonce la clause or et ce sera un moyen de lutter contre le trust rival américain.

Redoutables, les mauvais exemples qui viennent de haut ! C’est par la tête que le poisson pourrit. Comment ne pas voir que le crédit ne se relèvera pas du coup qui lui est porté ? Il avait résisté à la répudiation des dettes de la Russie par le bolchevisme, aux faillites monétaires des pays que la guerre et le socialisme ont dévastés. Celle des États-Unis, excusant toute improbité, tue toute confiance. Et comment ne pas souscrire à ces remarques de M. Gaston Jèze dans le Journal des Finances :

Ces nombreuses banqueroutes d’État se produisent dans des conditions d’immoralité révoltante. Elles paralysent le crédit public de tous les États, même des États qui tiennent leur parole. Elles laissent aux capitalistes du monde entier la conviction qu’un État est le plus mauvais débiteur qui soit. Profitant de sa force, de l’impossibilité d’user contre lui des voies d’exécution forcée, l’État n’hésite pas à se jouer cyniquement de ses créanciers. L’emprunt public devient ainsi une forme de l’escroquerie et de l’abus de confiance, avec l’impunité assurée puisqu’il n’y a pas de recours à une sanction efficace. 

Alors, qui prêtera ? Question redoutable. De là, pourtant, peut venir le salut financier. Une démocratie socialisante comme la nôtre vit sur cette hypothèse qu’il y aura toujours une épargne pour combler le déficit à l’aide de l’emprunt. Et si personne ne prête plus ? Vous direz qu’il y a la ressource de l’inflation. Erreur. L’inflation ne réussit pas deux fois. Devant une récidive, ce serait un immense sauve-qui-peut. En quelques jours, il y aurait des légions d’acheteurs de n’importe quoi, même de tonnes de moutarde, pressés de réaliser leurs billets. Qu’on se le tienne pour dit !

L’Action française, 21 mai 1933