La souplesse et la faculté d’adaptation de la monarchie héréditaire s’attestent d’une manière vraiment frappante par le cas du roi d’Angleterre qui sera cette semaine l’hôte de Paris.
Second fils du prince de Galles, ‑ le futur Édouard VII, ‑George V n’était pas destiné au trône. C’est son frère aîné, le duc de Clarence, qui devrait régner en ce moment‑ci. Sa mort prématurée était venue bouleverser l’existence de son cadet, le duc d’York, et aussi les calculs, peut‑être les espérances de son père. Le duc d’York était déjà un homme avec ses goûts, ses idées, ses habitudes, lorsqu’il devint héritier présomptif. C’était une éducation à recommencer. Nul doute qu’Édouard VII n’ait souffert autant comme chef de dynastie que comme père de voir disparaître ce fils qu’il avait formé pour être son continuateur…
Édouard VII était avant tout un diplomate et c’est certainement en diplomatie que le duc de Clarence eût été son élève. Le duc d’York était un marin, marin il est resté. Oh ! sans doute, à partir du moment où il fut désigné pour ceindre la couronne du Royaume‑Uni, il ne manqua pas de compléter son information politique. Il est devenu un assidu lecteur de livres bleus et de rapports diplomatiques, suivant en cela l’exemple de la reine Victoria son aïeule et de son père qui, par leur application, leurs informations et leur expérience avaient réussi à donner à la couronne, tout particulièrement dans la direction de la politique étrangère, une autorité que la Constitution ne prévoit nullement. Comme tous les monarques de l’Europe contemporaine, George V est le premier des diplomates de son pays et c’est à son influence, il n’en faut pas douter, que l’Entente cordiale doit d’exister encore, de rendre quelquefois service et d’avoir résisté aux coups que les radicaux germanophiles ne lui ont jamais ménagés…
Mais enfin, George V est resté un marin. La vie maritime, il l’a pratiquée comme un marin de carrière et non pas en amateur (il y a une savoureuse anecdote sur le duc d’York surveillant la corvée de charbon et pris pour un soutier par un ministre turc venu pour remettre une décoration au prince anglais et qui crut à une mauvaise plaisanterie). Et c’est la vie maritime qui continue de solliciter son imagination, d’exciter son intérêt… Heureuse rencontre des circonstances et des besoins de l’Empire britannique. Dans un temps où la nation anglaise, par le fait de ses institutions électives et parlementaires, se relâche de la surveillance des mers, au moment où elle laisse des flottes rivales rogner sa marge de supériorité, quel plus grand service pouvait lui rendre la monarchie héréditaire que de placer un marin de métier à la tête de l’État ?
Que les Parisiens qui acclameront cette semaine le roi et la reine d’Angleterre retiennent bien encore ce détail essentiel : c’est que le roi George V et la reine Marie forment un ménage anglais aussi national et même aussi nationaliste que possible. Quelle différence avec Édouard VII, l’homme du dix‑neuvième siècle, aussi « européen » qu’on l’aura jamais été !
De même que George V, qui a surtout vécu sur les navires de Sa Majesté, est un pur Anglais, la reine Marie, sa cousine, d’ailleurs, est une Anglaise. Sait‑on qu’elle a exigé, en se mariant, que son trousseau fût fait tout entier en Angleterre et que pas une main étrangère n’y eût touché ? Sait‑on aussi qu’elle ne voulut pas d’autres demoiselles d’honneur que des princesses britanniques ? Dans sa vie de tous les jours, le couple royal continue à affirmer le sentiment de la nationalité. Le foyer du roi George est le modèle du home. Il ne se passe pas de jour sans qu’un chapitre de la Bible y soit lu à haute voix. La maison de George V est celle d’un country‑gentleman de la vieille Angleterre. Et l’on n’y rencontre pas les compagnons un peu suspects, les naturalisés de fraîche date ni les grands financiers juifs, ‑ lord Sassoon ou sir Ernest Cassel, ‑ dont Édouard VII ne craignait pas la société.
George V porte témoignage de la vertu du principe héréditaire. Il symbolise aussi, au plus haut point, les tendances directrices de notre temps qui sont la tradition et le nationalisme. Le vingtième siècle, selon les prophètes de la démocratie, ne devait plus voir de rois. Et il en a qui sont plus rois que jamais, puisque, utiles à l’État, les monarques d’aujourd’hui sont par surcroît le miroir des peuples.
L’Action française, 21 avril 1914.