Le testament du philanthrope

Le rire, selon certains psychologues, naît d’un contraste violent. Les caricaturistes le savent bien et l’un de leurs thèmes favoris, repris sous toutes les formes, est celui du naufragé ou de l’alpiniste qui, dans l’extrême danger, garde le souci des convenances. Encore le contraste doit-il être senti. Il arrive qu’on ne l’aperçoive pas et alors on se prive d’un plaisir.

Dirai-je celui qui fut le mien en lisant, ces jours derniers, que d’ingénieux actuaires avaient trouvé le moyen d’assurer à tous les travailleurs une retraite à cinquante-cinq ans ?

Comme c’est simple ! Ce n’est qu’une affaire de calcul. À la naissance de chaque futur rentier une somme de 3 000 francs sera remise à la Caisse (tentaculaire) des Dépôts et Consignations. Vous accumulez les intérêts à 5 pour 100 et les intérêts de ces intérêts. Vous faites le compte moyen, selon les tables de mortalité, des participants de la tontine qui seront morts avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. Et vous arrivez à servir une très gentille rente en 1986.

Ce qu’il y a de drôle là-dedans ? C’est qu’à l’heure présente pas un citoyen français disposant de 3 000 francs ne sait qu’en faire sinon de les ranger soigneusement dans un tiroir à moins qu’il n’en achète de la moutarde. C’est qu’il n’existe per­sonne qui ait la moindre confiance dans l’avenir et qui, voyant ce que les monnaies, les actions, les obligations, les fonds d’État, les immeubles deviennent ou sont devenus, se risque à faire cette spéculation à longue portée qui s’appelle un placement.

Les croyants de la rente sociale restent imperturbables. Ils continuent l’arithmétique du satiriste : « Cent francs au denier cinq, combien font-ils ? Vingt livres. » L’idée de la rente, dont les bourgeois sont dégoûtés, passe aux prolétaires. On s’en voudrait presque de troubler leur foi, car la foi, c’est si beau ! Du reste, la leur est inébranlable. Quand nous disons que, sociale ou privée, une rente est une rente, qu’elle suppose un capital et que ce capital lui-même est destiné à périr de mort naturelle ou par accident, les théoriciens de la rente pour tous répondent – comme on nous l’a fait à nous-même – qu’en régime socialiste ces inconvénients n’existeront plus puisqu’il n’y aura plus de capital et que la rente, dans une production organisée, sera incessible, insaisissable et – enfin ! – par un secret que le capitalisme a été impuissant à trouver, immortelle. Il ne restera plus qu’à inventer le moyen d’obtenir que le rentier le soit.

L’idée, qui est d’un comique un peu voilé, je l’avoue, mais puissant, est contenue tout entière dans l’histoire vraie de ce philanthrope d’autrefois qui avait disposé par testament que sa fortune, qui était fort belle, resterait intacte, à l’abri d’avides héritiers, et que les intérêts en seraient accumulés pendant une longue suite d’années. Au bout de vingt, il y aurait assez pour donner une maison et une terre à chacun des habitants d’un bourg. Au bout de cinquante ans, on ferait le bonheur de la population d’une grande ville. Après un siècle, la somme entassée serait si grosse qu’on pourrait sans peine faire de la France un immense jardin et un terrestre paradis.

Cet homme était mort un peu avant la Révolution de 1789. Vinrent les assignats. La colonne des chiffres anticipateurs s’écroulait. Un neveu, non moins vertueux que l’oncle, s’en fut trouver le membre du Comité de Salut public préposé aux finances et demanda qu’on fît en sorte que la noble pensée du testateur fût respectée. On l’écouta peu. Il est même probable que sa démarche le rendit suspect et qu’il fut guillotiné.

L’Action française, 6 décembre 1931.