À Londres et à Weimar

M. Lloyd George a rendu compte devant la Chambre des Communes des travaux de la Conférence et il a pu s’apercevoir qu’il avait eu tort de lire le Manchester Guardianau point d’en oublier sa majorité. Les passages les plus applaudis de son discours ont été ceux où il a retrouvé sa verve guerrière. Quand il a cru nécessaire de dire en quoi le traité était dur pour l’Allemagne et pourquoi il était nécessaire qu’il fût dur, il a enfoncé une porte ouverte.

La partie vraiment intéressante de son exposé, c’est celle où M. Lloyd George a indiqué les étapes par lesquelles avait passé son esprit. Toute la psychologie de la Conférence et de la paix tient dans ces quelques lignes. Il y avait trois méthodes à appliquer à l’Allemagne, selon le chef du cabinet britannique. La première consistait à lui dire : « Désormais ne péchez plus. » La seconde consistait à « aller à l’autre extrême » et à traiter l’Allemagne comme Rome avait traité Carthage et la Prusse la Pologne. La troisième, c’était d’obliger l’Allemagne à réparer ses torts, tout en la ménageant assez pour ne pas détruire son existence nationale, « ce qui eût été une lourde faute ». C’est la méthode que la Conférence a adoptée.

En développant ces idées devant la Chambre avec des images amusantes, M. Lloyd George a obtenu des succès de rire et d’indignation comme il est facile d’en trouver dans les réunions publiques ; et les parlements d’aujourd’hui, même à Londres, ne sont guère plus que des réunions publiques. M. Lloyd George est un inventeur remarquable de métaphores populaires qui empruntent les aspects du bon sens. Mais les métaphores ne sont pas de la politique et la politique que M. Lloyd George a vantée part d’une faible conception.

Il ne s’agissait pas de pardonner à l’Allemagne ou de la détruire comme Carthage et comme la Pologne. L’Allemagne n’a absolument rien de commun avec la cité carthaginoise et si les Romains avaient eu affaire au pays de Ludendorff, ils ne se seraient pas comportés comme avec le pays d’Annibal. Mais si l’Allemagne avait été Carthage, l’Angleterre aurait fait exactement ce qu’avaient fait les Romains et elle l’a bien prouvé en commençant par supprimer net l’« existence nationale » de l’Allemagne sur les mers.

Sur terre, le point de vue était différent et c’était l’expérience de la politique française qu’il eût fallu écouter. M. Lloyd George, qui n’avait jamais entendu parler de Teschen jusqu’à l’âge auquel il est parvenu parce que cette ville n’est pas citée dans la Bible, ne sait pas non plus qu’il y avait un autre moyen de traiter l’Allemagne que celui de ménager son « existence nationale », c’est-à-dire, en fait, de sauver, avec son unité, sa puissance politique. Les Alliés ne sont pas les premiers mortels qui aient eu à s’occuper du problème allemand. Ils ont eu des prédécesseurs qui n’ont pas estimé non plus que la solution consistait à couper le cou de tous les Allemands et à raser leurs villes, mais qui avaient sagement favorisé leurs instincts et leurs goûts particularistes et avaient garanti l’Europe contre un retour à l’Empire de Charles‑Quint.

Presque en même temps que M. Lloyd George parlait à Londres, la nouvelle Constitution allemande était discutée à Weimar. On se serait cru à cette Assemblée de Francfort qui, en 1848, a préparé les voies à Bismarck. L’Empire démocratique, deux mots qui ne s’excluent pas, quoi qu’en ait dit un jour M. Clemenceau, y a été proclamé, et cet Empire sera unitaire, plus unitaire que celui de Guillaume II. Quelque Hohenzollern n’aura plus qu’à le gouverner comme M. Delbrück y compte. Mais, avec ou sans Hohenzollern, républicain ou monarchique, l’État unitaire allemand sera là. L’Europe, un jour ou l’autre, devra compter de nouveau avec lui. Alors il faudra trouver à Londres d’autres métaphores et qui ne seront plus drolatiques.

L’Action française, 5 juillet 1919.