Les dettes américaines

« — Mon ami, je vous ai prêté de l’argent pour faire tuer votre fils à la place du mien. Rendez-moi cet argent, s’il vous plaît. »

C’est le langage que les Américains nous tiennent naïvement. Car ils sont idéalistes, jusqu’à la bourse, et pas plus loin. Ils aiment bien La Fayette, mais ils ne plaisantent pas sur le dollar.

Comme ils avaient beaucoup de dollars, ils se sont payés, pendant la guerre, le luxe d’acheter des remplaçants. Plus ils nous ouvraient de crédits et plus il y avait de soldats français sur le front, plus nous avions de victimes aussi. Ce fut de l’argent bien placé : nous avons perdu quinze cent mille hommes et l’Amérique n’en a perdu que soixante-quinze mille, la vingtième partie.

La vie humaine est toujours pour rien. Les Américains comptent de très bonne foi que nous leur devons trois milliards de dollars. Ils seraient très étonnés si nous leur disions qu’ils nous doivent quelque chose comme six cent soixante-quinze mille Français.

On a souvent cité le mot de Victor Hugo : « Le paysan vendéen donnait volontiers son fils. Il ne prêtait pas son cheval ». Les Américains ont fait encore mieux. Ils ont donné les fils des autres, ils les ont équipés et ils réclament le prix du harnachement.

« La Fayette, nous voici ! » La parole s’est accomplie à la lettre. Seulement, elle nous arrive sur du papier timbré et c’est un huissier qui l’apporte.

Quand on parle trop de l’idéal et de son cœur, c’est toujours ainsi que les choses se terminent. Il vaut mieux causer d’affaires avant, pour ne pas se disputer après. Même dans les mariages d’amour, il est prudent de dresser un contrat. Et les médecins font bien de fixer leurs honoraires d’avance : « Docteur, sauvez mon enfant et ma fortune est à vous ! » Quand la note arrive, on la trouve trop chère et l’on dit : « Cet enfant s’est guéri parce qu’il avait une bonne constitution. »

Bref, la France est priée de payer parce qu’elle s’est bien battue, et parce qu’elle a écouté beaucoup de discours sur la justice et sur le droit. Elle paiera, d’ailleurs c’est son habitude. Elle paiera en espèces après avoir payé en hommes. Elle recommencera même une autre fois et elle dira encore :« Quels idéalistes, ces Américains ! »

Ref:Hrld