Le médecin occupe une place à part dans la société. Sa profession est la profession libre par excellence. L’avocat a besoin du Palais et des tribunaux, l’ingénieur d’une usine, l’écrivain de journaux et d’éditeurs. Semblable au sage antique, le médecin porte avec lui sa fortune qui est son savoir. En tout lieu, il peut gagner sa vie et il ne dépend de personne. En outre, le secret médical en fait une sorte de confesseur laïque. On dit de beaucoup de métiers que c’est le dernier des métiers. De celui de médecin, on peut dire que c’est la plus belle des professions.
Elle tend à changer par l’effet des institutions et des lois. Peu à peu, sous l’influence d’un socialisme bureaucratique qui envahit tout, le médecin devient un fonctionnaire. Il est atteint dans son indépendance et dans sa dignité. Ce sera bien pis lorsque les assurances sociales seront en application. Alors le médecin n’aura plus guère comme clientèle indépendante que les rentiers, – s’il en reste.
Il y a déjà des pays, encore plus avancés que nous vers le socialisme masqué, où le médecin n’est plus qu’un salarié à tant par mois. C’est le cas en Autriche, par exemple, où le peu qui subsiste du corps médical libre d’autrefois doit se défendre d’être étatisé. On a vu, en Autriche, des grèves de médecins. D’ailleurs, si, un jour, tous les médecins devenaient, chez nous comme ailleurs, des fonctionnaires, on pourrait voir parmi eux des grèves généralisées, puisque le droit de grève leur serait reconnu comme aux autres fonctionnaires.
En France, le corps médical a compris le danger de cet asservissement à l’État qui ne serait pas seulement pour lui une diminution de dignité, mais qui entraînerait un abaissement du niveau scientifique. Car, à quoi bon poursuivre de longues études, affronter les risques des concours, puisqu’on serait enrégimenté et qu’on avancerait à l’ancienneté ? Ici le danger serait pour le public. Et ce sont des choses qui viennent d’être exposées dans une thèse de doctorat, dont l’auteur est le docteur Guérin, et qui a été soutenue avec succès devant la Faculté de Paris. Titre qui dit tout : l’État contre le médecin. Le docteur Guérin a obtenu le doctorat avec félicitations du jury. Il a dit ce que le corps médical avait sur le cœur. Et sa thèse fait sensation.
Elle est pourtant un peu réactionnaire. M. Paul Bourget, qui ne passe pas pour un ami des régimes démocratiques, y a mis une préface. Il est vrai que le mot « réagir » a en médecine un sens précis et même son vrai sens. La santé est une réaction contre la maladie. Mais enfin, il n’y a pas encore si longtemps, la Faculté n’aurait pas « réagi » de la même manière devant la thèse du docteur Guérin. C’est que le corps médical n’a plus tout à fait les mêmes opinions qu’autrefois. Longtemps, il a été pour le radicalisme quelque chose comme la propagation de la foi. Libre dans sa profession, le médecin enseignait les Droits de l’homme qui, à la longue, se sont retournés contre lui. Il défend maintenant les droits du médecin, c’est-à-dire ceux d’une élite menacée. Et, dans les rangs de la gauche, les médecins, qui jadis les garnissaient en phalanges serrées, sont moins nombreux que les professeurs – jusqu’à ce que vienne le tour de ceux-ci.
Février 1929.