Lorsque, dans une centaine d’années, on racontera l’histoire de notre temps, nous savons bien ce que l’on ne manquera pas de dire parce qu’on aura vu les conséquences de ce qui s’accomplit sous nos yeux.
La guerre est déclarée à la richesse. C’est par là que toutes les démocraties finissent et doivent finir : qu’on relise plutôt la Cité antique de Fustel de Coulanges. À ses origines, la troisième République avait rapidement expulsé les éléments révolutionnaires et socialistes qui avaient pris part au Quatre Septembre. Des bourgeois renforcés, comme Ernest Picard, dont le nom figure sur les vignettes de la Banque de France, avaient donné le ton au régime. Il y eut cinquante ans de tranquillité pour les fortunes. « Nous prenons notre bien en patience, » disait cette grande dame au temps du ralliement.
Tout a changé lorsque la grande crise financière est venue. Alors, dans l’âpre contestation des intérêts, la démagogie a trouvé le champ libre. La guerre aux riches a remplacé la guerre aux curés et elle suit son cours avec la même intolérance.
À la révocation de l’Édit de Nantes, qui contenta toute la France qui n’était pas protestante, personne, sur le moment même, n’aperçut les résultats. On disait : « Bon débarras, » aux religionnaires qui s’en allaient. Quelques années plus tard seulement on découvrit que les réfugiés, en portant leur activité et leur industrie ailleurs, avaient appauvri la France. On en a fait depuis grief à Louis XIV qu’on avait applaudi sur le moment même.
« On a dénoncé l’émigration des capitaux. Qu’on prenne garde à l’émigration des personnes. » Cette petite phrase d’un journal financier très lu, et très prudent, qui procède surtout par allusions discrètes, a frappé quelques personnes dans Paris. Quelques personnes seulement. Il est sûr que nul avertissement n’aura d’effet sur une démagogie qui se suiciderait si elle n’avançait plus dans la voie où elle est engagée.
Il a été dit aussi et il est visible que tous les impôts qu’on vote se ramènent à frapper toujours les mêmes, à exténuer le « dernier carré » d’un certain nombre de contribuables. C’est si facile ! Le succès électoral de cette méthode est si sûr ! Quelque remords qu’en éprouvent parfois certains socialistes (lorsqu’ils disent, par exemple, que, pour l’impôt sur le revenu, on est arrivé à la limite de la taxation), on ne renoncera pas à un moyen qui frappe moins de gens qu’il n’en réjouit.
Seulement, le jour prochain où l’atmosphère sera tout à fait irrespirable pour ceux qui produisent la richesse, rien ne pourra empêcher que ceux à qui la vie est rendue impossible, s’en aillent. Il y a un moment où le civisme ne lie plus, où le patriotisme ne retient plus. Ces choses-là ne se font d’ailleurs ni par raisonnement ni par principe. Ceux qui les font obéissent à un mouvement naturel, sans idée préconçue, au gré des circonstances. Un grand industriel a des intérêts, souvent des succursales à l’étranger. Il augmentera ces intérêts. La succursale deviendra la maison mère. Il finira par s’y établir en attendant qu’en France les choses aillent mieux.
Les émigrés ne s’en vont jamais sans idée de retour. On va se mettre à l’abri pendant l’orage. Mais ces orages durent toujours plus longtemps que l’on n’avait compté. Lorsque le gouvernement de Louis XIV, alarmé du départ de tant de drapiers et d’horlogers, leur envoya des émissaires pour les faire revenir, les huguenots avaient déjà pris leurs habitudes. Éprouvés, ils ne croyaient plus aux promesses. Presque tous répondirent que c’était trop tard. C’est ainsi que les choses se passent dans tous les cas pareils.
Que les émigrés de la Révocation ou ceux de la Révolution aient eu tort ou non, peu importe. Quand un homme ne peut plus vivre selon ses idées, il s’en va. À plus forte raison quand il ne peut plus vivre du tout. Les – protestants voulaient le culte à leur manière. Quelle différence y a-t-il avec l’homme qui pense : « Je veux pouvoir léguer ma fortune à mes enfants s’il me plaît, et c’est ainsi que je comprends la loi ? »
L’Action française, 14 février 1928.