Pour combien de temps il y en a

Les économistes calculaient, avant 1914, qu’une guerre euro­péenne ne pourrait pas durer plus de trois mois parce qu’après ce temps leurs ressources financières seraient épuisées. Ils se trompaient de quatre ans et onze jours. Et pourtant ils avaient raison.

Les trois mois qu’ils avaient fixés répondaient aux ressources réelles des puissances belligérantes. Ils avaient oublié l’emprunt et l’inflation, création de ressources fictives qui permit de poursuivre la guerre jusqu’au mois de novembre 1918.

En ce moment, la situation est à peu près la même. Les dépenses de l’État excèdent les facultés du pays. Il s’agit de savoir pendant combien de temps l’État pourra continuer.

Les économies volontaires, la réduction du « train de vie » de la nation, nous n’y avons jamais cru. Les particuliers ne changent leurs habitudes, ne renoncent à leur standing que le jour où la nécessité les y contraint. Comment voulez-vous que la communauté ait plus de prévoyance, de courage et d’énergie ?

Avances sur titres et hypothèques ne sont pas faites pour les chiens. Un particulier, par ces moyens, tient tant qu’il peut. Que fait l’État ? Il emprunte tant qu’il a du crédit.

Le jour où il deviendrait difficile ou impossible d’emprunter, qu’arriverait-il ?

L’État serait obligé de suspendre ses paiements, du moins certains paiements. Il devrait demander ou imposer un moratoire à ses créanciers. Il devrait, comme en Turquie, payer ses fonctionnaires avec retard et par acomptes.

Quand on n’a pas eu le courage (s’agissant du régime électif, il faut dire la faculté) de déclarer qu’on retranchait ce qui ne répondait pas aux possibilités, comment aurait-on l’énergie de résister à la tentation du papier-monnaie ? C’est par l’inflation que la guerre s’était prolongée. C’est encore par elle qu’on sera induit à prolonger le « train de vie ».

Les particuliers n’ont pas cette ressource suprême. S’ils la possédaient, ils n’hésiteraient guère à s’en servir. L’État se l’est interdite par le statut de la Banque de France. Mais il n’y a plus de statut qui tienne dans les cas de nécessité. La Banque eût-elle invoqué valablement son statut pendant la guerre et devant le péril national ? Pourrait-elle l’invoquer devant le péril social de la fermeture des guichets ?

On me dira qu’il y a le Sénat pour mettre ordre aux folies. Mais le Sénat et la Chambre, n’est-ce pas encore autre chose que deux assemblées dont l’une contrôle et rectifie l’autre ? Ce sont peut-être deux âges, deux générations. La plus jeune n’est pas disposée à se restreindre par prudence.

Et à la fin ? Eh ! bien, voici pour la fin. Napoléon écrivit un jour à son frère Joseph, roi de Naples : « Vos finances sont tout en métaphysique. L’argent est pourtant une chose très physique. » Le latin, dans sa concision, disait : Rationi subsunt singula, tout est soumis aux chiffres. On n’échappera pas à la comptabilité.

L’Action française, 19 février 1933.