Un moment de méditation au milieu de l’apothéose

Jusqu’en cette journée de fête et de détente des esprits opprimés par une longue horreur, il faut demander aux Français de consacrer quelques moments à un retour sur le passé et à une méditation sur l’avenir.

La gigantesque aventure qui finit par une apothéose a eu ceci de prodigieux que les peuples vainqueurs sont ceux qui ne pensaient pas à la guerre, et qui la croyaient même impossible. Les Allemands ont désobéi au précepte de Bismarck. Ils ont agité ce qui était tranquille. Ils ont détruit de leurs mains un état de choses dont ils étaient les bénéficiaires. Les amateurs de guerre civile pourront s’instruire de l’exemple. Ils jouent avec la révolution. Ils avertissent la France par des provocations successives. Telle a été la méthode de l’Allemagne entre 1905 et 1914, grâce à quoi, le jour décisif, notre mobilisation s’est faite admirablement. De même le bolchevisme réveille chez nous le chat qui dort.

Il n’en est pas moins vrai que l’Allemagne nous a attaqués, envahis, qu’elle a occupé de longs mois une vaste partie de notre territoire et que nous avons échappé à des périls mortels. La victoire d’aujourd’hui répare la défaite de 1870, mais à quel prix ! Et dans l’un comme dans l’autre cas, c’est l’ennemi qui a médité et entrepris l’agression. La France est un pays que la guerre vient chercher. Voilà la vérité qui crève les yeux.

Serons‑nous mieux abrités dans l’avenir contre les répercussions de la politique européenne devenue universelle ? La France avait pris l’alliance russe pour une garantie de la paix, et c’est par l’alliance russe qu’est arrivée la guerre. Après cela, on peut être sceptique. L’enchaînement des effets et des causes a trop de mystères pour qu’on se fie, en politique, à une précaution conçue comme devant dérouler sans fin ses bienfaisantes conséquences.

Lorsque approcha le fatal été de 1914, on découvrit par quel mécanisme la guerre allait s’engager. En appuyant sur le ressort serbe, l’Allemagne mettait en mouvement la Russie et l’alliance franco‑russe. Heureusement, par l’invasion de la Belgique, elle a complété elle-même la chaîne de nos alliances. Il n’en est pas moins vrai que si la menace russe avait empêché Bismarck de nous attaquer en 1875, c’est à travers la Russie, beaucoup moins redoutée en 1914, que ses successeurs ont engagé le fer avec le peuple français.

Nous avions aperçu et décrit ce danger, les collections de l’Action française et de sa revue en font foi. Elles font foi également que nous nous refusions à soutenir les querelles slaves, à exciter le panslavisme ou la slavophilie. Eh bien ! pour éviter les orages de l’avenir, il faudra encore essayer de voir clair. Il faudra aussi se garder de prendre pour une assurance infaillible de tranquillité ce qui peut devenir le principe de complications nouvelles. Dès le lendemain des fêtes, la vie des peuples retrouvera ses droits. Elle sera comme toujours pleine de passions et d’incertitudes. Mais rarement, pour la France, la matière de la politique aura été plus vaste et plus ténébreuse.

L’Action française, 14 juillet 1919.