Le XXᵉ Siècle, le journal belge bien connu qui paraît provisoirement au Havre, où il a suivi le gouvernement du roi Albert, a publié une nouvelle que nous avons reproduite hier. Il y a intérêt à la réimprimer aujourd’hui : « Nous apprenons, écrit notre confrère, que le gouvernement britannique vient de décider d’envoyer un ambassadeur au Vatican auprès duquel il sera accrédité pendant la durée de la guerre. Le Pape a agréé la décision du ministère anglais. » Nous n’hésitons pas à dire que, parmi les grands événements historiques qui s’accomplissent sous nos yeux, celui‑ci doit être considéré comme hautement significatif.
Plusieurs circonstances ont déjà manifesté, depuis le commencement du mois d’août, une vive renaissance des plus hautes traditions politiques anglaises. L’Angleterre libérale de 1914, sous l’empire des puissantes nécessités du jour, a retrouvé la vigueur de l’ancien esprit whig. D’un seul coup, le radicalisme britannique a délesté son programme de tous les éléments diviseurs. Pour mener à bien la guerre étrangère, il a volontairement et fortement écrasé tous les tisons de guerre civile. La décision d’envoyer au Vatican une ambassade extraordinaire n’est pas la moindre preuve que les Anglais auront donnée, depuis quatre mois, de leur intelligence clairvoyante et positive des conditions dans lesquelles une grande guerre comme celle‑ci doit être conduite.
Le cabinet Asquith, composé en majorité de puritains et de quakers, n’est pas d’avis que le fanatisme soit un état d’esprit politique. S’il est pourtant un peuple chez qui l’absence de relations avec la Papauté soit passé à l’état de tradition, c’est bien celui où le vieux cri de No poperyest toujours capable d’éveiller des puissances de sentiment formidables. Et s’il est, dans ce pays, un parti qui soit hostile à l’Église romaine, c’est sans doute celui qui descend en droite ligne de ses presbytériens qui s’acharnèrent à la ruine de la dynastie catholique en Angleterre. Eh ! bien, ce sont ces héritiers de Cromwell qui envoient un ambassadeur au pape de Rome. Ils ont compris que, quand on s’engageait dans une guerre aussi vaste que celle qui met aujourd’hui en mouvement presque tous les peuples de la terre, c’était folle imprudence ou ignorance grossière que de se priver de contact diplomatique avec la plus grande puissance morale et internationale qui existe sur la planète. Les libéraux anglais ont aperçu encore les tentatives de la propagande allemande en vue de faire jouer, en Irlande par exemple, et en Espagne aussi et ailleurs, le ressort religieux contre les alliés. Et les libéraux anglais n’ont pas voulu qu’il fût dit qu’ayant engagé leur pays dans cette partie formidable, ils auraient abandonné à l’adversaire la moindre chance de succès.
En France, nous n’avons pas d’Irlande, c’est vrai. Mais nous avons la Syrie, où l’initiative des Turcs pourrait bien poser des questions que nous serions embarrassés de résoudre seuls. Mais nous pourrons éprouver à chaque instant, par le développement de la guerre, par l’ampleur et la complexité de nos intérêts sur le globe, un dommage considérable du fait de notre impossibilité de causer avec Rome. Causerons‑nous, quand il faudra causer, par l’entremise de l’ambassadeur de Sa Majesté britannique auprès du Saint-Siège ? Ce serait une solution que l’Histoire trouverait au moins paradoxale.
L’Action française, 24 novembre 1914.