Pendant ce temps, les rapports entre la Soviétie et l’Hitlérie se tendent un peu plus tous les jours. Ils deviennent même dangereusement tendus.
Et par « ce temps », nous ne voulons pas parler seulement de celui où chaque jour qui n’est pas gagné pour la proscription des mesures de rigueur et de blocus contre l’Italie est perdu pour la sûreté de l’Europe et pour la sûreté des puissances européennes qui ont des possessions en Asie, sujet grave sur lequel nous reviendrons. Ce temps est aussi celui où, dans le silence et l’ombre, se préparent la ratification, l’application et l’entrée en vigueur de l’alliance avec les Soviets.
Alliance dangereuse, alliance à surprises, alliance à explosions. Ceux qui l’acceptent comme ceux qui la prônent savent-ils tous ce qu’ils font ? Au moins faut-il mettre sous les yeux du public ce qu’on ne s’empresse pas de lui faire connaître dans le dossier de la suspicion réciproque qui grandit entre Moscou et Berlin.
Comme on devait s’y attendre, l’Allemagne, à l’idée d’une conjonction de la France et de l’U.R.S.S., se croit menacée et menace. Les dirigeants du soviétisme, qui ont peur du national-socialisme, s’enhardissent à l’idée que les Français seront là pour se battre à cette première ligne qui est sur le Rhin, l’Allemagne devant plus que jamais chercher à rompre « l’encerclement » du côté de l’Ouest depuis qu’elle n’a plus de frontière commune avec la Russie. Que risquent les hommes de Moscou à souffler sur le feu ?
Et ils soufflent. Une revue de la presse soviétique que nous trouvons dans le Bulletin quotidien montre que les récentes déclarations de Hitler ont « provoqué une irritation violente à Moscou et donné une nouvelle impulsion à la campagne contre le fascisme allemand ». En guise de spécimen, il faut lire ce passage d’un article des Izvestia :
« L’opinion publique soviétique, s’appuyant sur sa volonté de paix, sur la force de l’armée rouge et les sympathies des amis de la paix au-delà de ses frontières, surveille de près la nouvelle explosion de passions impérialistes du fascisme allemand. L’opinion publique soviétique pourra dire : « Vous voulez les mains libres ? Mais, primo, les mains qui étranglent le grand peuple allemand ne peuvent être libres ; secundo, vos mains sont trop courtes ; tertio, si vous tentez de fourrer votre groin dans notre potager, vous recevrez sur les mains un coup qui vous ôtera toute envie de recommencer. »
Ici le ton fait la musique. Mais qui doit danser ? Les « amis de la paix au-delà des frontières » sur lesquels on compte à Moscou, c’est nous. On nous attend. On nous charge de mettre Hitler au pas. Telles sont les conditions dans lesquelles nous allons nous engager envers un pouvoir anormal en conflit avec un autre pouvoir non moins anormal que lui, alors que nous devons nous tenir le plus loin possible de ces enragés et de ces « possédés », comme les appelait Dostoïevski.
11 décembre 1935.