Lénine meurt le jour où Ramsay Macdonald arrive au pouvoir. Le hasard a de ces rencontres. Et sans doute M. Ramsay Macdonald n’est pas communiste. Il s’en défend. Mais il y a un commencement à tout.
Dans nos pays d’Occident, le bolchevisme ne serait pas possible. Il y déterminerait une réaction violente, en admettant qu’il fût capable de s’emparer du pouvoir. Ce qui est bien plus dangereux, c’est la démocratie socialiste, moins violente que dissolvante. L’Allemagne a réprimé le spartakisme avec l’appui des social-démocrates hostiles au « socialisme asiatique ». Mais la social-démocratie a ruiné l’Allemagne en cinq ans et c’est en rétablissant méthodiquement tout ce qu’elle a supprimé et en défaisant ce qu’elle a fait que l’Allemagne essaie aujourd’hui de sortir de son chaos financier.
En Russie, Lénine avait imposé le communisme comme Pierre le Grand avait imposé la civilisation européenne : avec l’aide du bourreau. Il avait restauré une autocratie, l’autocratie rouge, et il aurait pu dire, à plus juste titre que jadis M. Kokovtsov : « Grâce à Dieu, nous ne sommes pas en régime parlementaire. » Son gouvernement a été fort par la terreur.
Il a été fort aussi par ce qui avait rendu si longtemps le tsarisme inébranlable : la passivité d’une immense population rurale. On disait autrefois que le tsar avait pour lui cent millions de moujiks. L’événement a prouvé que ce n’était pas très sûr, mais il lui suffisait de ne pas les avoir contre lui. La révolution n’a pu éclater que par la guerre, quand la mobilisation a rapproché et concentré des millions d’hommes, impuissants quand ils étaient disséminés sur un territoire colossal, forts quand ils n’étaient plus isolés. La révolution russe de 1917 a éclaté et flambé d’un seul coup. En 1905, la révolution avait été réprimée parce qu’elle n’était que sporadique. Après 1917, quand les moujiks ont été de retour dans leurs villages, il a suffi que Lénine – qui savait la manière de gouverner la Russie – eût une armée peu nombreuse mais disciplinée, et il a éteint tous les foyers de révolte, les uns après les autres : Stolypine, en somme, ne s’y était pas pris autrement.
Tragique et absurde, le bolchevisme s’est montré adéquat à la Russie parce que, dans ses sanglantes violences, il a gouverné la Russie comme veut l’être un pays où est resté célèbre l’épieu de fer d’Ivan le Terrible. La Russie n’a eu qu’un seul gouvernement européen : celui des tsars depuis Pierre le Grand. Tout ce qui lui est arrivé à partir de la chute de Nicolas II n’a rien qui étonne : elle est retournée vers la Chine. Quant à ce qui lui arrivera après la mort de Lénine, redouté même sur son lit de malade, c’est ce que personne ne saurait prophétiser. Il n’y a pas de prophétie ni de raisonnement valable pour un pays que se disputent l’Europe et l’Asie et où, depuis sept ans, l’Asie mongolique et sémitique l’a emporté.
23 janvier 1924.