La statue de Stolypine

Nous connaissons des libéraux russes qui s’étaient juré de n’avoir pas de repos jusqu’à ce que la statue de Stolypine fût dans le Dniepr. Nous ne savons pas si la statue a fait dans le grand fleuve le même saut que, jadis, après le baptême de Vladimir, l’idole Peroun, mais il est certain que la population de Kief l’a jetée à bas de son socle. C’était une des manifestations symboliques les plus faciles à prévoir de la révolution russe.

L’homme qui avait rétabli l’ordre en Russie, après 1905, avait péri par un des plus ténébreux complots de police et d’anarchie que l’on connaisse. Son souvenir était resté odieux au libéralisme russe qui reprochait à Stolypine d’avoir consolidé le tzarisme et restauré la réaction. Mais sa mémoire n’était guère plus honorée par le souverain qu’il avait sauvé. Avant d’être déboulonnée par le peuple, la statue de Stolypine l’aura été par Nicolas II.

L’ingratitude de l’ancien empereur à l’égard du meilleur serviteur qu’il ait trouvé fait comprendre les causes de sa chute. Homme d’ordre inflexible et sévère, Stolypine n’était pas un réactionnaire borné. C’était un réformateur. Il laissait des collaborateurs, des disciples pénétrés de sa pensée qui auraient assuré à la Russie une politique nationale, en accentuant l’esprit de progrès qui animait leur maître. Mais les Sazonof, les Ignatief ont été abandonnés par Nicolas II. Un Krivochéine s’est vu systématiquement écarté du gouvernement. Et quels hommes auront été préférés à ceux-là ! Lorsque le prisonnier de Tsarskoïé-Sélo apprendra l’incident de Kief, il pourra, ‑ s’il a compris ! ‑ faire un triste retour sur les fautes de son règne !

L’Action française, 2 avril 1917