Le congrès de Moscou

On vient de publier, d’après les comptes rendus de la presse bolcheviste, un résumé des rapports qui ont été présentés au congrès du parti communiste russe qui s’est tenu en avril à Moscou. Il se dégage de ces documents que les dirigeants de la République des Soviets ne sont plus très sûrs de la route qu’ils doivent suivre mais qu’ils n’ont pas d’inquiétude réelle pour leur domination en Russie.

Lénine leur manque. Le congrès a envoyé toutes sortes de témoignages d’ « ardent amour » à Vladimir Ilitch, à Nadiedja Constantinovna sa femme et à toute sa famille avec un accent d’adoration qui rappelle l’hommage au Gossoudar Imperator et à la famille impériale modulé selon la liturgie. Vladimir Ilitch a été salué par le Congrès des noms de chef et de « génie de l’idée prolétarienne et de l’activité révolutionnaire ».

Le chef est malade. L’idée aussi. Le rapport de Zinoviev sur la politique extérieure révèle une grande hésitation. Zinoviev s’en tient à un programme négatif qui s’autorise de la parole sacrée de Vladimir Ilitch et qui se traduit textuellement ainsi : « D’une manière générale (sic) tout recul à été suspendu cette dernière année et nous avons même, dans certaines branches, commencé à préparer, très lentement, bien entendu, un mouvement d’offensive. » Ce n’est ni chaleureux ni encourageant.

Mais plus loin, toujours en s’abritant derrière les oracles et les prophéties de Lénine, Zinoviev accorde un point capital : « Le retard dans la révolution prolétarienne internationale, dit son rapport, est aujourd’hui un fait acquis et personne ne saurait dire combien de temps durera cet arrêt. » Un arrêt aussi prolongé s’appelle un échec et si la révolution internationale doit venir dans une centaine d’années, elle ne nous intéresse pas plus qu’elle ne peut intéresser Zinoviev lui-même. On verra d’ici là. D’ailleurs le rapport ajoute, sans déguiser la vérité : « L’affaiblissement réel du prolétariat européen, au point qu’il ne peut se mesurer avec la bourgeoisie, est un fait également acquis. »

De ces constatations extrêmement précieuses il résulte que les choses ne se sont point passées comme le croyaient les bolcheviks. Ils avaient certainement cru que leur régime ne serait pas durable sans la révolution universelle ou sans progrès des idées révolutionnaires en Occident. La révolution recule et le bolchevisme dure. Il est lui‑même embarrassé de ce démenti. Gardant le pouvoir dans des conditions qui ne sont pas celles qu’il avait calculées, il faut qu’il s’adapte à ces conditions. Le résultat, c’est qu’il devient et que la Russie redevient avec lui tous les jours un peu plus asiatique. Le rapport de Zinoviev met son espoir sur l’Orient mais, semble-t-il, avec une confiance médiocre. Au total, on garde de cette lecture l’impression d’une langueur. Et l’on se demande si la Russie n’est pas écartée d’Europe pour longtemps.

L’Action française, 1ᵉʳ juin 1923