Tout ce qui est exagéré ne compte pas. Il y a de l’exagération jusque dans ce mot fameux puisque celui qui l’avait prononcé passa une partie de sa vie auprès d’un homme qui n’était pas la mesure même : on ne peut pourtant pas prétendre que Napoléon n’ait pas compté ! Mais Talleyrand voulait dire que, dans la sourdine des idées et des opinions, ce qui est outré ne convainc pas et, par conséquent, n’a pas d’importance.
Ce qu’il faudrait ajouter c’est que, plus encore que du vide, la nature a horreur de l’excès, la nature des choses économiques surtout. Une crise, ce sont des excès qui se paient. Et c’est par son excès même qu’elle doit à son tour de guérir. L’exagération de la hausse engendre la baisse et d’une baisse exagérée renaît la hausse.
C’est tout particulièrement vrai du marché des valeurs. Et si un autre Proudhon venait à écrire un nouveau Manuel du Spéculateur à la Bourse, ilpourrait poser en principe que le moyen le plus sûr de gagner est de « tourner le dos à la multitude », comme les sages antiques le recommandaient pour la recherche de la vérité.
La sagesse pratique conseille, elle aussi, de se méfier des vaines opinions des hommes qui vont sans relâche d’un extrême à l’autre et qui ne cessent de brûler ce qu’ils ont adoré. Il est inutile de leur rappeler que les peupliers ne montent pas jusqu’au ciel. Dans les périodes d’engouement pour les valeurs, on ne voit plus d’arrêt à la hausse, et lorsqu’à l’engouement succèdent la crainte et le dégoût, on ne voit plus d’arrêt à la baisse. C’est précisément là que le régulateur naturel commence à jouer.
Hausse et baisse sont faites à la fois de crédulité et d’incrédulité, celle-ci s’appliquant à tout ce qui est rationnel et réel. Le fabuliste qui a dit : « L’homme est de glace aux vérités, il est de feu pour les mensonges, » semble avoir fréquenté longtemps la Bourse.
Se rappelle-t-on encore les cours vertigineux auxquels les valeurs industrielles étaient parvenues pendant la période 1928-1929 ? En ce temps-là, le président du Conseil d’administration d’une grande entreprise phosphatière déclarait, en pleine Assemblée générale, que, pour justifier les prix que cotaient alors les actions, il eût fallu que la Société fît dix fois plus de bénéfices. Quel effet produisirent ces paroles ? Aucun. On persista à acheter. Depuis, la même action est tombée d’une vingtaine de mille francs, bien au-dessous de 2 000. Que le président du Conseil d’administration déclare maintenant que les affaires sociales s’améliorent. Il ne fera pas plus acheter que, naguère, il ne faisait vendre.
À l’illusion de la hausse continue a succédé l’illusion de la baisse sans fin. Or, le propre du monde réel, celui où nous vivons, est justement de ne pas être infini, mais « fini ». Il n’y a ni « de plus en plus » ni « de moins en moins » pour la raison excellente que si les choses allaient de plus en plus ou de moins en moins, il y a longtemps qu’elles auraient cessé d’exister.
Le Capital, 23 août 1932.