Le krach de New-York

Les États-Unis ne sont pas en régime parlementaire proprement dit, chose qu’en France on ignore trop généralement. Ils ne savent donc pas ce que c’est que les crises ministérielles, bien qu’ils aient aussi de temps en temps leurs crises politiques. Mais ce qui fait en Amérique bien plus de bruit que le krach d’un gouvernement, c’est le krach de la. Bourse, qui est périodique et qui atteint toujours des proportions colossales.

On avait énormément spéculé depuis un an. Les cours des valeurs à Wall-Street montaient à des hauteurs prodigieuses. L’activité des transactions était telle que la Bourse de Paris, en comparaison, n’était qu’un petit marché de margoulins. Et l’on avait beau dire que ça ne pourrait pas durer, que l’effondrement devait venir, la hausse reprenait de plus belle. Tout de même le krach est venu.

Il comporte peut-être une leçon pour tout le monde. Pour les spéculateurs d’abord. Il y en a nécessairement qui sont ruinés. Ce sont ceux qui sont venus les derniers au jeu. Avez-vous pensé quelquefois aux maladroits qui se portent acheteurs juste à la veille de la baisse et à qui a été appliqué le cours maximum qui ne se reverra peut-être jamais, qui ne pourra pas se revoir, en tout cas, avant des années ? Il y en a toujours et il faut bien qu’il y en ait. Mais il y a aussi ceux qui se sont retirés à temps et qui sont les gagnants, même s’ils ont vendu avant que le point culminant de la hausse ait été atteint. C’est le cas de ce financier à qui l’on demandait comment il avait fait fortune et qui répondait : « Parce que j’ai toujours vendu trop tôt. »

Il y a donc deux sortes d’esprits qui se retrouvent en tout, dans les affaires comme dans la politique. Il y a les hommes qui croient qu’un mouvement commencé dans une direction doit continuer d’une manière indéfinie, que ni la hausse ni la baisse n’auront d’arrêt, que l’on ira toujours plus à gauche ou toujours plus à droite. On voit même des gens qui se rallient à un régime sur le point d’expirer comme on en voit qui achètent une valeur le jour où elle est le plus chère. Et il y a les autres, ceux qui s’inspirent de cette vérité simple que les peupliers ne montent pas jusqu’au ciel et que rien ne va de plus en plus.

Pas même aux États-Unis. Le pays de la quantité s’aperçoit que la quantité a des bornes. On s’était imaginé que le développement de sa prospérité industrielle pouvait être sans limites. Mais avant l’industrie, il y a l’agriculture, qu’on n’a pas encore pu remplacer parce qu’il faut bien, d’abord, manger, boire, et que nous n’en sommes pas tout à fait aux aliments chimiques. Alors, une crise de l’agriculture c’est une crise de la Bourse. Une baisse du blé c’est une baisse de la soie artificielle, du cuivre, de la radiophonie. Le krach de New-York rappelle à l’homme qu’il se nourrit encore de pain.

La Liberté, 27 octobre 1929