Le monde en mouvement

Ily a des gens qui ont cru que des événements aussi vastes que ceux de la guerre européenne pourraient s’achever sans que des modifications profondes se fussent produites dans la vie des peuples. La révolution russe est un des signes du contraire. C’est à peu près comme si l’on disait que, quand on a battu des œufs pendant un certain nombre de minutes et qu’on les a mis dans la poêle, on les retrouve ensuite dans leur état primitif.

Les nations auront été secouées pendant un espace de temps considérable et soumises au feu de batailles dont la violence ne s’était jamais vue. Il n’est pas douteux qu’elles sortent de là transformées. On peut dire que les gouvernements qui n’auront pas conscience de ces transformations sont condamnés d’avance.

C’est ce qui vient d’arriver au gouvernement russe. Nicolas Il mérite les sympathies et le souvenir de la France dont il aura été l’allié fidèle. On l’aurait voulu plus perspicace ou mieux conseillé. M. Ribot, avant‑hier, a dit ce qu’il fallait dire sur les vingt‑cinq ans d’alliance qui ont uni la République et l’autocratie. Nous saluerons aussi la loyauté de Nicolas II. Il sera permis de ne pas admirer sa politique. Les journées de mars et l’effondrement de son trône viennent d’ailleurs de la juger.

Jamais plus belle occasion ne s’était offerte à un tsar, depuis qu’au dix-neuvième siècle la Russie s’était occidentalisée, de renouer le pacte de la dynastie avec le peuple russe et de repartir, sur des données nouvelles, pour une prolongation de bail. La Russie, de 1914 à 1916, était, au fond, dans l’état de la Russie de 1613, à l’élection et à l’avènement de Michel Romanof. Un puissant mouvement national, déterminé comme alors par la menace étrangère, pouvait servir à une régénération de la Russie dont les tsars, suivant leur rôle historique, eussent pris la tête. Leur véritable tradition était là. Voit‑on un traditionaliste qui, par respect pour les idées de son père, s’obstinerait à porter les mêmes bottes et le même chapeau que lui ? Voilà pourtant ce qu’a fait, ou peu s’en faut, Nicolas II. Il y avait, dans son Empire, au début de la guerre, des bonnes volontés qui s’offraient, des possibilités telles que, depuis l’origine de son règne, il ne s’en était jamais présenté. Nicolas II est passé à côté de tout cela. Il n’a pas su s’affranchir de cette hiérarchie bureaucratique qui, après avoir été l’émanation du tsarisme, en était devenue la maîtresse. L’autocratie prisonnière de la bureaucratie : tel est le non-sens historique et politique d’où la chute de Nicolas II est venue.

L’Action française, 23 mars 1917