Le parti allemand en Russie

Il semble que ce soit pour la Russie comme une fatalité historique d’être disputée entre les influences germaniques et son esprit national. Chez ses révolutionnaires eux-mêmes se retrouve la même division et Bakounine n’a pas cessé de s’y opposer à Karl Marx. Bakounine est comme le Proudhon de la Russie. Il semble que ce soit, en ce moment, Bakounine qui l’emporte sur Karl Marx et Sturmer. C’est le plus grand bonheur qui pourrait arriver à la révolution russe. Et si la révolution avait réussi en 1905, au lieu de survenir pendant la guerre européenne et dans le grand conflit des nationalismes, c’est alors qu’elle eût été tout à fait certaine de mal tourner. Que l’on compare seulement la conversion des « défaitistes » au manifeste de Vyborg !

Un vieux proverbe russe dit que tout ce qui est bon pour l’Allemand est la mort du moujik. L’invasion allemande en Russie est un phénomène qui a plus de deux cents ans de date. La Russie a été colonisée, exploitée, gouvernée par les Allemands. La régence de Biren a été, à cet égard, au dix-huitième siècle, comme le premier modèle du régime Sturmer. « Depuis lors, disait Herzen, il y a eu des Allemands sur le trône ; autour du trône des Allemands ; les généraux étaient allemands, les ministres allemands, les boulangers allemands, les pharmaciens allemands. Quant aux Allemandes, elles avaient le monopole des fonctions d’impératrices et de sages‑femmes. »

« Germanisée jusqu’aux moëlles, gouvernée par des Allemands, » a écrit Maurras dans Kiel et Tanger en parlant de la Russie. Le rêve d’une partie, ‑ et non la moins influente, ‑ de la diplomatie des tsars était, par le moyen de l’alliance française, de conclure un pacte franco-germano-russe, de former une chaîne continue entre Pétersbourg, Paris et Berlin. Plus d’un diplomate russe affichait ouvertement cette idée. Et l’on n’a pas assez remarqué que l’ambassadeur d’Alexandre III qui avait conclu l’alliance portait un nom d’Allemagne. Loin de nous la pensée de reprocher quoi que ce soit à la mémoire de M. de Mohrenheim. Mais l’abondance du sang allemand, la persistance des traditions allemandes dans la diplomatie comme dans l’armée russe (qu’on se rappelle Stoessel, Rennenkampf), suffisent à expliquer beaucoup des fléchissements, des faiblesses et des contradictions de la politique de l’alliance franco‑russe.

L’Action française, 27 avril 1917