Sir Austen Chamberlain vient de se résoudre à un double et pénible aveu. Il a reconnu que les Soviets avaient pour dessein de ruiner l’Empire britannique. Et il a reconnu que l’Angleterre ne pouvait pas grand-chose contre les Soviets.
Entre l’avertissement sévère du gouvernement britannique à Moscou et le développement de l’activité soviétique en Chine, il y a une relation évidente. L’Angleterre est inexpugnable dans ses îles. Elle ne craint rien sur les mers. Elle est éminemment vulnérable dans ses possessions et dans ses intérêts des pays lointains, d’Asie surtout, qui sont les artères par lesquelles se nourrissent quarante-cinq millions de gros mangeurs resserrés sur ses petites îles.
Lorsque l’Allemagne, comprenant qu’aucun Austerlitz n’avait prévalu contre Trafalgar, et n’osant risquer ses escadres dans une bataille navale plus décisive que celle du Jutland, voulut se débarrasser de l’Angleterre et lui porter un coup mortel, elle entreprit de l’affamer. L’Angleterre, c’est sa faiblesse, ne se nourrit pas elle-même. Elle a remplacé l’agriculture par l’industrie, le champ par l’usine, le paysan par l’ouvrier. C’est son erreur. Il se peut qu’elle la paie cher un jour. Les Allemands savaient que, pour affamer l’Angleterre et la mettre à genoux bien plus sûrement qu’eux-mêmes, il suffisait d’arrêter et de couler les navires qui transportent les aliments des Anglais. D’où la guerre sous-marine à outrance.
Système enfantin. Les Anglais, qui ont le génie de la mer, trouvèrent tout de suite la réplique, et les sous-marins allemands jonchèrent le fond des océans. Partant du même principe, les Soviets ont eu une idée bien plus malicieuse, puisque c’est à la source même qu’ils entreprennent de paralyser le ravitaillement des Anglais. Et mieux qu’à la source. Mieux qu’une paralysie. S’ils réussissent à supprimer les revenus que tire l’Angleterre de son commerce multiforme avec plusieurs centaines de millions de clients asiatiques, toute l’organisation financière sur laquelle repose son existence sera anéantie.
Pour préserver cette organisation, qui est vitale pour eux et nourricière, les Anglais, dès le lendemain de la guerre, ont voulu la restauration économique de l’Europe. Ils ont surtout ranimé la concurrence allemande, puis réchauffé le serpent rouge dans leur sein. Leur double déficit, budgétaire et commercial, est destiné à s’aggraver par les désordres de l’Asie. M. Tchitcherine, que la Fornightly Review représentait récemment comme dominé par la crainte et la haine de l’Empire britannique, sait ce qu’il fait. Il sait où frapper l’ennemi héréditaire.
Bien naïfs ces nationalistes des temps tsaristes qui rêvaient une invasion de l’Inde. Les Soviets n’envahissent pas. Ils envoient aux Asiatiques le poison admirablement dosé de leur doctrine et de leur propagande. Et de quelle riposte est capable l’Angleterre ? On n’ira pas assiéger Sébaspotol, et la nouvelle Russie, à Moscou, se rit des démonstrations navales autant que la nouvelle Turquie à Angora. L’Angleterre est sur la défensive et elle doit d’abord vaincre chez elle la conspiration communiste et socialiste en refoulant le pouvoir des Trade Unions, déchues de leur ancienne réputation de sagesse. Éclairés par l’attitude de nos partis de gauche, les hommes d’État britanniques comprendront-ils qu’en fait de ménagements, l’un de leurs premiers intérêts est de ménager les éléments conservateurs sur le continent ?
L’Action française, 9 avril 1927.