Capitalisme honni, capitaux honorés

On n’a pas coutume de chercher des leçons d’économie politique dans l’Écriture sainte, bien que la parabole des sept vaches grasses et des sept vaches maigres nous en apprenne autant que les courbes et les graphiques sur les crises et leur rythme septénaire. Et quand l’Évangile dit : « Où est ton trésor, là est ton cœur, » nous comprenons pourquoi l’Allemagne a rencontré ses meilleurs avocats chez les financiers anglais et américains qui lui avaient prêté des milliards.

On trouve aussi dans les Actes des Apôtres des clartés sur la condition du régime soviétique. Nul n’ignore que la première communauté chrétienne, la primitive, celle des origines, avait institué le partage des biens entre les adeptes. Et les actes décrivent avec précision comment les choses se passaient : « Il n’y avait aucun pauvre parmi eux parce que tous ceux qui possédaient des fonds de terre ou des maisons les vendaient et en apportaient le prix qu’ils mettaient aux pieds des apôtres ; et on le distribuait ensuite à chacun selon qu’il en avait besoin. »

C’est-à-dire que, pendant les quelques années de durée qu’eut cette association d’hommes détachés des biens de ce monde, on vécut en consommant l’apport des fidèles.

Mais il fallait réaliser ce qui représentait cet apport. Les Actes citent l’exemple de Barnabé, originaire de Chypre, qui avait vendu la terre qu’il possédait dans cette île. En d’autres termes, ce communisme évangélique était possible parce qu’il recevait des capitaux. Et il en recevait parce que, le régime capitaliste subsistant, les propriétés des croyants trouvaient des acquéreurs.

Ce n’est pas autrement, bien que ce soit par des moyens étrangers à la foi et au sacrifice volontaire, que le bolchevisme a pu se prolonger. Il a d’abord consommé les richesses qu’il avait confisquées à leurs propriétaires légitimes. Ensuite, il a reçu des capitaux du dehors sous forme de crédits qui lui ont été fournis par des industriels, des banquiers et même des États bourgeois.

Le bolchevisme a pu vivre parce qu’il était entouré d’un monde capitaliste. Qu’il eût, par hypothèse, réussi à déchaîner la révolution universelle, que des Soviets se fussent créés partout, comme il l’espérait, et il eût été un des premiers à périr dans ce triomphe.

Si le capitalisme n’existait pas, le communisme devrait l’inventer. Karl Marx avait aperçu cette vérité puisque, pour lui, la société nouvelle devait hériter naturellement de l’ancienne et puisqu’il répugnait à l’idée de commencer l’expérience par un pays aussi pauvre que la Russie.

Pour faire du communisme comme pour faire la guerre, ou n’importe quoi, il faut de l’argent. Balzac, établissant le budget d’un homme à bonnes fortunes, démontrait que Lovelace lui-même, pour les menus frais de ses aventures, avait besoin de monnaie de poche. On peut détester, maudire et même supprimer le capitaliste. Ce qui est impossible, à moins de déchéance totale et de misère, c’est de se passer de capitaux.

Le Capital, 14 novembre 1931.