L’État-providence

Ah ! Ah ! Enfin, nous avons quelqu’un qui a dit ce que personne n’avouait. Honneur à ce brave ! Il s’appelle François Albert.

Croyez-vous aux économies ? Croyez-vous que j’y aie jamais cru ? « Vous qui me connaissez, vous savez bien que non. » François Albert ne veut pas qu’on y croie. Ce diable d’homme, qui s’agite aux confins du radicalisme et du socialisme, souffle vigoureusement sur l’illusion des bouts de chandelle. Des économies, non seulement on n’en fera pas, non seulement on ne peut pas en faire, mais encore on ne doit pas en faire. En promettre, c’est de la démagogie.

Mais promettre qu’elles seront enterrées, c’est de la démocratie. François Albert connaît la théorie et la pratique, la doctrine et le métier. Il ne faut pas dire qu’on dépensera moins puisque nécessairement on dépensera plus et même de plus en plus. L’État-Providence ? Parfaitement. L’intrépide François Albert n’a pas peur du mot. Il n’a pas peur de ce « terrestre divin ». La « collectivité » doit subvenir à tout. Et il écrit hardiment :

L’accroissement constant des budgets publics apparaît comme la conséquence inéluctable, voire le critérium du progrès. Chaque jour, l’individu demande davantage à la collectivité, seule capable d’assumer les grands services qui lui procurent sécurité, informations rapides, facilités de communication, ou même divertissements…

Nous ne ferons qu’un reproche à l’auteur de cette profession de foi. Jadis, Paul Lafarge avait proclamé le droit à la paresse. François Albert proclame le droit au « demi-luxe ». Pourquoi demi ? Pourquoi ne va-t-il pas au luxe tout entier ? Se méfierait-il des ressources de la collectivité ?

Car, en effet, tout est là. Lorsqu’il écrit que « l’accroissement constant des budgets publics apparaît comme la conséquence inéluctable, voire le critérium du progrès », il suit le raisonnement de l’électeur, c’est-à-dire qu’il confond la dépense avec la richesse. Même dans un pays comme le nôtre, on ne trouverait pas un individu sur dix mille pour ne pas appeler riche celui qui dépense beaucoup.

François Albert est donc, somme toute, un esprit modéré. Il ne croit pas que, même en mangeant toutes les fortunes de France, l’État-Providence puisse assurer à tous les citoyens plus que le demi-luxe. Il s’agirait même de savoir pendant combien de temps on le leur assurera. Il nous prend, de temps en temps, des démangeaisons de voir les choses aller plus vite pour arriver à la fin qui ne sera pas drôle, sauf pour les pauperes in spirituceux qui sauraient très bien se passer et qui se passent déjà des « divertissements » de François Albert, de la T. S. F. et, en particulier, de la voix de stentor qui, sur les ondes célestes, distribue les lieux communs.

Il est vrai que, pour notre homme, il y a encore de la richesse à consommer. Mais, ici encore, nous nous affligeons de le trouver si timide. Il croit ou il affecte de croire aux monopoles pour grossir les recettes de la providence terrestre, dispensatrice de bien-être et de plaisir. Il croit aux chemins de fer nationalisés et qui, aux trois quarts étatisés, sont déjà couverts de dettes. Il croit que la poule aux œufs d’or est dans les assurances, alors que, devenues service d’État, les assurances seraient promptement déficitaires parce que l’électeur se ferait reconnaître comme un droit et comme un élément du progrès d’être assuré gratis.

Allons jusqu’au bout de la pensée de François Albert qui s’arrête à mi-chemin comme il s’arrête au demi-luxe. On mangera tout le capital de la nation, le saint-frusquin de l’électeur. « Courte et bonne », c’est la devise.

Je vous en prie ! Abrégez la période du confort petit bourgeois. Faites-nous vivre tout de suite à tous six mois de grands seigneurs. Nous en aurons au moins le souvenir. Et personne ne regrettant plus de n’avoir pas connu ce que c’est que la vie princière, que pourrait-il, après tout, arriver de meilleur aux hommes pour les assagir tandis qu’ils recommenceraient à gagner leur pain à la sueur de leur front ?

L’Action française8 janvier 1933