Psychologie du gogo

On a souvent remarqué que les esprits forts croyaient aux tables tournantes et aux merveilles de l’au-delà, que la métapsychique avait pour adeptes des savants qui se vantaient de n’avoir jamais trouvé l’âme sous leur scalpel et que les Eusapia Paladino faisaient leurs victimes dans les laboratoires. Nous venons de voir plus de soixante mille Français et Françaises émancipés donner les yeux fermés leur confiance et même leur argent dans des conditions qui ne sont pas différentes de celles-là.

J’ouvre le dictionnaire et, à l’article superstition, je lis : « Sentiment de vénération religieuse, fondé sur la crainte ou l’ignorance, par lequel on est souvent porté à se former de faux devoirs, à redouter des chimères et à mettre sa confiance dans des choses impuissantes. » Tel était l’état d’esprit des souscripteurs du Quotidien et des dupes de la Gazette du Franc et des NationsIl leur semblait que sous le signe de la S.D.N., de la vraie paix, de Locarno et de la démocratie, il ne pouvait y avoir que vertu, idéalisme, désintéressement, plus 40 pour 100 à gagner au moyen des opérations de Bourse conseillées par ces apôtres.

En effet, pourquoi la foi n’aurait-elle pas été récompensée ? Du moment qu’on était pour la raison, la justice et l’humanité, on devait réaliser de gros bénéfices sur les valeurs conseillées par Mme Hanau. Et il n’y avait que d’honnêtes gens qui fussent capables de se placer sous le labarum du locarnisme, les autres étant des méchants et des impies. « Par ce signe tu gagneras. » Il reste, on peut en être sûr, des dupes dont la confiance est inébranlable et qui recommenceraient à la première occasion.

« Quiconque a un peu vécu avec les hommes a pu voir quelquefois combien aisément on est prêt à sacrifier la nature à la superstition. » C’est ce diable de Voltaire qui a dit cela. Mais nous aurons vu mieux. Nous aurons vu sacrifier le portefeuille à la superstition. Donner son amour, ce n’est rien. Apporter son argent, c’est la preuve de la confiance sans réserve. Et l’on pense aussi à Victor Hugo, qui n’était pourtant ni un sceptique ni un misanthrope, et qui a écrit que le paysan donnait plus facilement son fils que son cheval. La Gazette du Franc et des Nations obtenait le cheval.

Le tour du fils pourra venir après. Car, enfin, une telle aptitude à la duperie est alarmante. Si l’on croit que Locarno garantit des bénéfices de 40 pour 100, on peut également croire que Locarno garantit la paix éternelle et que la République allemande est nécessairement amicale, fraternelle et pacifique. On croyait aussi, avant 1914, que la guerre était impossible et que, en tout cas, les social-démocrates sauraient bien l’empêcher. On croyait à la Cour suprême de La Haye et déjà l’arbitrage… Ce n’est pas seulement pour la sécurité de l’épargne qu’il y a lieu de s’inquiéter.

La Liberté, 21 décembre 1928.